Le journaliste allemand Udo Ulfkotte a donné cette semaine une interview tonitruante sur la chaîne Russia Today, à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage Gekaufte Journalisten (Journalistes achetés).
Dans ce livre, il détaille la manipulation des médias et des journalistes par les agences de renseignement étasuniennes et notamment comment le Frankfurter Allgemeine Zeitung sert « comme une prostituée les intérêts de Washington en manipulant ses lecteurs au profit des États-Unis » au travers de multiples organisations pilotées depuis Washington, comme l’Atlantic Bridge, la Commission trilatérale, le German Marshall Found, l’American Council on Germany, l’Aspen Institute, etc.
Ces informations ont été depuis confirmées par Willy Wimmer, ex-secrétaire d’État du ministère allemand de la Défense, qui a accusé le département d’État américain d’ingérence dans le travail de la presse allemande.
Il faut dire qu’Udo Ulfkotte a lui-même été la victime, parfois consentante, des méthodes des agences de renseignement étasuniennes. Né en 1960, l’homme a été journaliste au service politique étrangère du Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ, l’équivalent allemand du Monde) pendant prés de dix-sept ans (1986-2003). À ce titre, il a vécu dans de nombreux pays musulmans entre 1986 et 1998, s’étant même, un temps, converti à l’islam. Il a par ailleurs été membre de l’équipe de planification de la Fondation Konrad-Adenauer, un think tank proche du CDU (union chrétienne démocrate d’Allemagne, le parti d’Angela Merkel) et a enseigné entre 1999 et 2007 à la Bundesakademie für Sicherheitspolitik (Institut fédéral des hautes études de sécurité), un organisme du ministère de la Défense qui forme les hauts responsables politiques et économiques allemands.
Il a publié une quinzaine d’ouvrages, dont notamment en 2008 Der Krieg im Dunkeln. Die wahre Macht der Geheimdienst (La Guerre de l’ombre. La vraie puissance des services secrets). Il y détaillait les opérations sous faux drapeau et la guerre psychologique menées par les services secrets israéliens, citant notamment leur influence dans les événements de l’automne 2005 dans les banlieues françaises en vue de l’élection de Nicolas Sarkozy. Dans son interview à Russia Today, il revient sur son parcours et sur les méthodes de manipulation de l’opinion publique par la corruption des journalistes opérée par les agences de renseignement étasuniennes.
Je suis journaliste depuis 25 ans, et on m’a appris à mentir, à trahir et non à dire la vérité au public. Mais en voyant ces derniers mois comment les médias allemands et américains essaient d’amener les gens à la guerre contre la Russie en Europe, c’est pour moi un point de non-retour. Je vais me lever et dire que ce que j’ai fait par le passé n’est pas juste : manipuler les gens en faisant de la propagande contre la Russie. Ce n’est pas bien ce que mes collègues font et ont fait par le passé parce qu’ils sont payés pour trahir, pas seulement les Allemands mais tout les Européens. J’ai écrit ce livre car j’ai très peur d’une nouvelle guerre en Europe et je ne veux pas que l’on ait de nouveau cette situation car la guerre ne vient jamais par elle-même, il y a toujours des gens derrière qui poussent à la guerre et pas seulement des politiciens, aussi les journalistes. J’ai écrit dans mon livre comment, par le passé, nous avons trahi nos lecteurs juste pour pousser à la guerre, parce que je ne veux plus le faire et je n’en peux plus de cette propagande.
Nous vivons dans une république bananière et plus dans un pays démocratique où l’on est sensé avoir la liberté de la presse, les droits de l’homme. Si vous observez les médias allemands qui, jour après jour, écrivent contre la Russie, ils sont dans des organisations transatlantiques et sont supportés par les États-Unis dans leur action. Moi, je suis devenu un citoyen honoraire de l’État de l’Oklahoma juste parce que j’écrivais des articles pro-américains. J’étais soutenu par la CIA parce que je devais être pro-américain. Je n’en peux plus donc je viens d’écrire un livre, non pas pour gagner de l’argent, cela va plutôt me causer beaucoup de problèmes, mais juste pour donner aux Allemands, aux Européens, aux gens dans le monde entier, un aperçu de ce qui ce passe en coulisse.
Il y beaucoup d’exemples qui étayent ce que je dis. Si vous allez dans vos archives, vous verrez qu’en mars 1988, en Irak, les Kurdes ont été gazés avec du gaz chimique. Ce fait est connu dans le monde entier. En juillet 1988, ils m’ont envoyé dans une ville appelée Zoubedat, à la frontière entre l’Irak et l’Iran. C’était alors la guerre entre ces deux pays et on m’a envoyé pour enquêter à propos d’Iraniens qui s’étaient fait gazer par du gaz allemand du LOST, du gaz sarin, du gaz moutarde. J’étais envoyé pour faire des photos de ces gens gazés par du gaz fabriqué en Allemagne. Quand je suis rentré en Allemagne il y a eu juste une photo dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, accompagnée d’un tout petit article qui n’expliquait pas à quel point c’était horrible, brutal et inhumain de gazer, quelques dizaines d’années après la Seconde Guerre mondiale des gens avec du gaz fabriqué en Allemagne. C’était une situation que j’ai trouvé mal traitée, avec juste un petit article. Il aurait fallu crier au monde ce que nous avions fait en coulisses.
Jusqu’à aujourd’hui, il est méconnu du public qu’il y a eu des centaines de milliers de personnes qui se sont fait gazer par du gaz allemand dans la ville de Zoubedat. Maintenant vous me demandez ce que j’ai fait pour les agences de renseignement. La plupart des journalistes que vous voyez dans les pays étrangers se proclament journalistes, et ils peuvent l’être, qu’ils soient européens ou américains, mais beaucoup d’entre eux, comme moi par le passé, servent en faite de non-official cover [couverture non-officielle], comme les appellent les Américains. J’ai été non-official cover. Qu’est-ce que cela signifie ? Vous travaillez pour une agence de renseignement, vous les aidez parce qu’ils le veulent, mais quand vous êtes capturés ou qu’il se révèle que vous êtes un espion et non un simple journaliste, ils ne diront jamais, au grand jamais que vous étiez l’un des leur. Ils ne vous connaîtront plus. Voila ce que signifie non-official cover. Je les ai aidés à de multiples occasions et aujourd’hui j’en ai honte. Tout comme j’ai honte d’avoir travaillé pour des grands journaux recommandables comme le FAZ, parce que j’ai reçu des pots de vins de milliardaires, d’Américains, pour ne pas rapporter l’exacte vérité. Dans ma voiture, en venant à cette interview, j’essayais juste d’imaginer ce qui se serait passé si j’avais écrit un article pro-russe dans le FAZ… Je ne sais pas ce qui se serait passé, mais nous avons tous été éduqués à écrire des articles pro-européens, pro-américains, mais s’il vous plaît, surtout pas pro-russes. Je suis vraiment désolé de tout cela, mais ce n’est pas ce que j’entends par démocratie et liberté de la presse. L’Allemagne est encore en quelque sorte une colonie américaine. Par exemple la majorité des Allemands ne veulent pas avoir d’arme nucléaire sur leur pays, mais il y a des armes nucléaires américaines. Donc nous sommes encore une sorte de colonie américaine et en tant que colonisateur, c’est très facile d’approcher de jeunes journalistes au moyen des grandes organisations transatlantiques, qui sont très importantes en Allemagne.
Tous les journalistes des magazines, journaux, radios et des télévisions grandes et respectables, sont tous membres ou invités des grosses organisations transatlantiques. Dans ces organisations transatlantiques, vous êtes approchés pour être pro-américain. Il n’y a personne qui vient vous dire : « Nous sommes la CIA, voudriez-vous travailler pour nous ? » Non, ce n’est pas comme cela que ça se passe. Ce qu’elles font, ces organisations transatlantiques, elles vous invitent pour visiter les États-Unis, elles payent pour cela toutes les dépenses. Vous êtes corrompu parce qu’ils vous donnent également des bons contacts. Vous ne saurez pas que ces « bons contacts » sont par exemple des non-official covers, ou des gens qui travaillent officiellement pour la CIA ou d’autres agences de renseignement américaines. Vous pensez que se sont des amis et vous coopérez avec eux. Ils vous demandent : « Pourriez-vous me faire telle ou telle faveur ? » et c’est par ce biais-là que vous êtes de plus en plus conditionné mentalement.
Votre question était : est-ce seulement le cas de journalistes allemands ? Non, je pense que c’est particulièrement le cas avec les journalistes britanniques de part leur relation beaucoup plus proche [avec les États-Unis, NDLR]. C’est aussi particulièrement le cas avec les Israéliens et bien sûr avec les journalistes français, mais en partie, pas autant qu’avec les journalistes allemands ou anglais. C’est le cas pour les journalistes australiens, néo-zélandais, taïwanais… Il y a beaucoup de pays, comme certains pays arabes dont la Jordanie, le sultanat d’Oman… Il y a beaucoup de pays où cela arrive et où vous trouvez des gens qui se proclament journalistes respectables. Mais si vous regardez derrière, vous découvrirez que se ne sont que des marionnettes de la CIA.
Je vais vous donner un exemple : parfois, les agence de renseignement viennent dans votre bureau et veulent que vous écriviez un article. Voici un exemple de ma propre expérience. J’ai oublié l’année. Des agents du BND [Bundesnachrichtendienst, les services de renseignement allemands, NDLR], qui n’est qu’une organisation sœur de la CIA et qui d’ailleurs a été fondée par les agences de renseignement américaines, sont un jour venus dans mon bureau au FAZ. Ils voulaient que j’écrive un article sur la Libye et le Colonel Kadhafi. Je n’avais aucune information à propos de Kadhafi et la Libye, mais ils voulaient juste que je signe de mon nom l’article qu’ils avaient préalablement écrit. C’est un article qui a été publié dans le FAZ et qui venait originellement du BND. Pensez-vous vraiment que c’est cela le journalisme, des agence de renseignement qui écrivent des articles ? Je l’ai partiellement mis dans mon livre. C’était un article sur comment le colonel Kadhafi essayait de construire secrètement une usine d’armes chimiques (gaz). C’est une histoire qui a ensuite été reprise dans le monde entier deux jours après. Je n’avais strictement aucune information à ce propos. C’est l’agence de renseignement qui voulait que j’écrive cet article.
Ce n’est pas la manière dont le journalisme devrait fonctionner, ça ne devrait pas être les agences de renseignement qui décident de ce qui est publié et de ce qui ne l’est pas. Si j’avais dis non… Je vais vous donner un très bon exemple de ce qui se passe si vous dites non. Nous avons une unité de sauvetage en Allemagne avec des hélicoptères pour les accidents de la route. Ils s’appellent les « Yellow Angels ». Il y avait un type qui ne voulait pas coopérer, c’était un pilote d’hélicoptère des Yellows Angels, ce type a dit non quand il a été approché par le BND comme non-official cover, tout en continuant à prétendre qu’il faisait partie des Yellow Angels. Eh bien, il a perdu son travail et les juges des tribunaux allemands ont décidé qu’ils avaient eu raison de le virer parce qu’on ne pouvait pas faire confiance à un gars pareil. Il a été viré parce qu’il n’a pas coopéré avec le BND. Donc je savais ce qui me serait arrivé si je ne coopérais pas avec les services de renseignement.
J’ai eu six perquisitions parce que j’ai été accusé par le procureur de la République fédérale, de faire fuiter des secrets d’État. Six perquisitions ! Ils ont espéré que je ne ferais pas ça et que je ne le ferais plus jamais. Et je pense que ça vaut le coup et que la vérité sortira un jour, la vérité ne mourra pas. Je me fiche de ce qui peut m’arriver, j’ai déjà eu trois crises cardiaques, je n’ai pas d’enfant. S’ils veulent m’amener devant les tribunaux ou me mettre en prison, la vérité en vaut la peine !
http://www.egaliteetreconciliation.fr/Propagande-mediatique-les-revelations-d-Udo-Ulfkotte-ancien-grand-reporter-allemand-repenti-28415.html
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Voir aussi :
L'OTAN veut anéantir la Russie (Castro) - La colère de l'armée française
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Le Saker
vendredi 10 octobre 2014, par Comité Valmy
En écoutant d’abord Porochenko, il y a quelques jours, puis Obama à l’Assemblée générale des Nations Unies, impossible d’avoir encore le moindre doute sur le fait que l’Empire anglo-sioniste est en guerre avec la Russie. Pourtant, beaucoup de gens croient que la réponse russe à cette réalité est insuffisante. De même, on constate qu’un flux constant d’accusations sont portées contre Poutine au sujet de la politique de la Russie face à la crise en Ukraine. Ce que je me propose de faire ici, c’est d’offrir quelques rappels de base sur Poutine, sur ses obligations et sur les options qui s’offrent à lui.
Entre l’OTAN et l’Ukraine
Tout d’abord, Poutine n’a jamais été élu pour être le gendarme ou le sauveur du monde ; il n’a été élu que pour être président de la Russie. Cela semble évident, et pourtant il est encore bien des gens pour penser que Poutine serait en quelque sorte moralement obligé de faire quelque chose afin de protéger la Syrie, la Novorussie ou toute autre partie de notre monde harcelé. Ce n’est pas le cas. Oui, la Russie est le leader de facto des BRICS et des pays de l’OCS, et la Russie accepte ce fait, mais c’est de ses propres compatriotes que Poutine a l’obligation morale et légale de prendre soin en premier lieu.
Deuxièmement, la Russie est maintenant officiellement dans le collimateur de l’Empire anglo-sioniste, lequel comprend non seulement 3 puissances nucléaires (Etats-Unis, Royaume-Uni et France), mais aussi la plus puissante force militaire (USA + OTAN) et les plus importantes économies du monde (Etats-Unis + Union Européenne). Je pense que nous pouvons tous convenir sans peine que la menace posée par un tel empire n’est pas négligeable, et que la Russie a dès lors tout à fait raison d’user des plus grandes précautions pour traiter la question.
Maintenant, étonnamment, beaucoup de ceux qui accusent Poutine d’être une mauviette, un vendu ou une Pollyanna [1] naïve, affirment également que l’Occident est en train de préparer une guerre nucléaire contre la Russie. Si tel est vraiment le cas, s’il y a bien un risque réel de guerre, que celle-ci soit nucléaire ou non, cela pose la question de savoir si Poutine ne fait pas dans ce cas précisément ce qui convient en s’abstenant d’agir avec rudesse et de se montrer menaçant. Certains diront que l’Occident veut absolument une guerre, peu importe ce que Poutine peut faire. Bon, très bien, mais dans ce cas, gagner autant de temps qu’il est possible avant l’inévitable, n’est-ce pas justement la bonne chose à faire ?!
Troisièmement, sur la question de l’action des Etats-Unis contre l’EIIL, plusieurs commentaires sur ce blog ont accusé Poutine de poignarder Assad dans le dos parce que la Russie a soutenu la résolution des États-Unis au Conseil de sécurité.
Et qu’est-ce que Poutine était censé faire ?! Faire voler la force aérienne russe jusqu’en Syrie pour protéger la frontière syrienne ? Qu’en est-il d’Assad ? A-t-il envoyé sa propre armée de l’air se ruer pour essayer d’arrêter les États-Unis ou a-t-il tranquillement fait une offre : bombardez-les, « eux », pas nous, et je protesterai mais ne ferai rien à ce sujet ? De toute évidence, c’est cette dernière option qu’il a choisie.
En fait, Poutine et Assad ont exactement la même position : protester contre le caractère unilatéral des frappes, exiger une résolution de l’ONU tout en regardant tranquillement comment l’Oncle Sam se retourne contre sa propre progéniture et tente maintenant de la détruire.
Je voudrais ajouter que Lavrov, assez logiquement, a déclaré qu’il n’y a pas de « bons terroristes ». Il sait que l’EIIL n’est rien d’autre que la continuation de l’insurrection syrienne créée de toutes pièces par les États-Unis, elle-même une continuation de la création étatsunienne qu’était al-Qaïda. D’un point de vue russe, le choix est simple : qu’est-ce qui est le mieux, que les États-Unis utilisent leurs forces et leurs hommes pour tuer les wahhabites fous ou qu’ils laissent Assad le faire ? Et si l’EIIL est victorieux en Irak, combien de temps avant qu’il ne revienne s’en prendre à la Tchétchénie ? Ou à la Crimée ? Ou au Tatarstan ? Pourquoi risquer la mort d’un seul soldat russe ou syrien alors que l’US Air Force est prête à faire les choses à leur place ?
Bien qu’il y ait une douce ironie dans le fait que les États-Unis ont maintenant à bombarder leur propre création, laissons-les faire ça. Même Assad a été clairement prévenu, et il en est évidemment très heureux.
En fin de compte, ONU ou pas ONU, les Etats-Unis avaient déjà pris la décision de bombarder l’EIIL. Alors, quel intérêt y aurait-il à bloquer une résolution de l’ONU qui n’a rien que de positif ? Ce serait, pour la Russie, agir à l’encontre de ses propres intérêts. En fait, cette résolution peut même être utilisée par la Russie afin d’empêcher les États-Unis et le Royaume-Uni de servir de base arrière aux extrémistes wahhabites (cette résolution l’interdit, et nous parlons ici d’une résolution obligatoire du Conseil de sécurité des Nations Unies, puisque prise dans le cadre des dispositions du Chapitre VII).
Et pourtant, certains continuent à dire que Poutine a poussé Assad sous l’autobus. A quel point de folie et de stupidité faut-il en arriver pour avoir ce genre de notion de la guerre ou de la politique ? Si Poutine voulait jeter Assad sous le bus, pourquoi ne l’a-t-il pas fait l’année dernière ?
Il reste que cette sorte de non-sens à propos de la Syrie est complètement éclipsée par le genre de truc vraiment dingue que certaines personnes publient sur la Novorussie. Voici mes préférés. L’auteur commence par me citer : « Cette guerre n’a jamais été à propos de la Novorussie ou à propos de l’Ukraine. »
Puis il poursuit :
« Cette déclaration est trop vide et trop facile, comme une dérobade. Voulez-vous vraiment dire que les milliers de personnes tuées par les bombardements, les milliers de jeunes conscrits ukrainiens jetés dans un hachoir à viande, les milliers de maisons détruites, plus d’1 million de personnes transformées en réfugiés… que RIEN de tout cela n’a rien à voir avec la Novorussie et l’Ukraine ? Qu’il ne s’agit que de la Russie ? Vraiment, on aimerait que vous vous absteniez de faire des déclarations stupides comme celle-là. »
Le seul problème étant, bien sûr, que je n’ai jamais fait la déclaration en question.
Bien entendu, il est assez évident que je voulais dire que POUR L’EMPIRE ANGLO-SIONISTE, l’objectif n’a jamais été ni l’Ukraine ni la Novorussie, mais de mener une guerre à la Russie. Tout ce que la Russie a fait, ce fut de reconnaître cette réalité. Encore une fois, les mots « voulez-vous vraiment dire que » montrent clairement que l’auteur s’apprête à tordre ce que j’ai dit, à fabriquer encore un autre homme de paille, puis à me dénoncer avec indignation comme étant un monstre qui ne se soucie pas de l’Ukraine ou de la Novorussie (le reste du commentaire était dans la même veine : dénonciations indignées de déclarations que je n’ai jamais faites et de conclusions auxquelles je ne suis jamais parvenu).
J’ai déjà pris l’habitude de ce niveau tout à fait remarquable de malhonnêteté de la part de la foule de ceux qui dénigrent Poutine et, à ce stade, je considère que ce n’est là rien de plus qu’un comportement assez typique. Mais je voulais illustrer la chose une fois encore pour montrer que, au moins dans certains cas, le but n’est pas du tout d’avoir une discussion honnête. Mon intention, toutefois, n’est pas de ramener le tout à quelques individus malhonnêtes et exaltés. Il y a aussi beaucoup de gens qui sont sincèrement déconcertés, frustrés et même déçus par l’apparente passivité de la Russie. Voici un extrait d’un courriel que j’ai reçu ce matin :
« Je suppose que j’espérais vraiment que peut-être la Russie, la Chine, les BRICS, pourraient constituer une contre-force. Ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est pourquoi, après toute la diabolisation mise en œuvre par les Etats-Unis et l’Europe, la Russie ne riposte pas. Les sanctions imposées par l’Occident font du mal à la Russie et pourtant les Russes font toujours le commerce du pétrole en euros ou en dollars, et ils se plient en quatre pour s’adapter à Europe. Je ne comprends pas pourquoi ils ne disent pas tout net : vous levez toutes les sanctions, ou bien plus de gaz. La Chine également ne s’exprime que très peu contre les États-Unis, alors que les Chinois comprennent bien que si la Russie est affaiblie, ils seront les prochains sur la liste. C’est comme pour tous les discours à propos de la levée des sanctions contre l’Iran, qui sont grotesques parce que nous savons tous qu’Israël ne permettra jamais qu’elles soient levées. Alors, pourquoi la Chine et la Russie continuent-elles à jouer le jeu de cette vaste mascarade ? Parfois je me demande si nous ne sommes pas tous comme des personnages dont les rôles seraient déjà écrits, et si tout cela n’est pas une simple scène de théâtre, où rien n’a aucune chance de jamais vraiment changer. »
Dans ce cas, l’auteur de ces lignes voit à juste titre que la Russie et la Chine suivent une politique très similaire qui, à n’en pas douter, ressemble à une tentative d’apaiser les États-Unis. Contrairement à la remarque précédente, ici l’auteur est à la fois sincère et vraiment affligé.
En fait, je crois que ce que j’observe, ce sont trois phénomènes très différents qui se manifestent tous en même temps :
1) une campagne organisée de dénigrement anti-Poutine lancée par les services des gouvernements des Etats-Unis et du Royaume-Uni chargés de manipuler les médias sociaux ;
2) une campagne spontanée de dénigrement anti-Poutine conduite par certains cercles nationaux-bolchéviques russes (Limonov, Douguine et compagnie) ;
3) l’expression d’une perplexité sincère, d’une anxiété et d’une frustration de la part de personnes honnêtes et bien intentionnés, pour qui la position russe actuelle n’a vraiment aucun sens du tout.
Le reste de cet article sera entièrement consacré à essayer d’expliquer la position russe à ceux qui appartiennent à ce troisième groupe (tout dialogue avec les gens des deux premiers groupes n’aurait simplement aucun sens).
Dans mon introduction ci-dessus, j’ai affirmé que ce qui se passe est une guerre contre la Russie, pas (pas encore ?) une guerre chaude, et plus tout à fait non plus une guerre froide à l’ancienne. En substance, ce que les Anglo-Sionistes sont en train de faire est assez clair, et beaucoup de commentateurs russes sont déjà arrivés à cette conclusion : les Etats-Unis sont engagés dans une guerre contre la Russie pour laquelle ils sont prêts à se battre jusqu’au dernier Ukrainien. De sorte que pour l’Empire, le « succès » de cette guerre ne saurait être défini comme un résultat qui pourrait être obtenu en Ukraine, parce que, comme je l’ai dit précédemment, l’Ukraine n’est pas l’objectif de cette guerre. Pour l’Empire, le « succès » sera un résultat spécifique obtenu en Russie : à savoir un changement de régime en Russie. Examinons la façon dont l’Empire prévoit d’atteindre ce résultat.
Le plan originel était simpliste, à la façon typique des néoconservateurs US : renverser Ianoukovitch, faire entrer l’Ukraine dans l’UE et dans l’OTAN, amener l’OTAN à la frontière russe sur le plan politique et la déplacer militairement en Crimée. Ce plan a échoué. La Russie a accepté la Crimée en son sein, et l’Ukraine s’est effondrée dans une guerre civile brutale associée à une crise économique fatale. Alors les néoconservateurs américains se sont rabattus sur le plan B.
Le plan B aussi était simple : amener la Russie à intervenir militairement dans le Donbass, et utiliser cela comme un prétexte pour une guerre froide « version 2 » à grande échelle, qui créerait des tensions du style de celles des années 1950 entre l’Est et l’Ouest, justifierait en Occident des politiques inspirées par la peur, et romprait complètement les liens économiques entre la Russie et l’UE. Sauf que ce plan aussi a échoué : la Russie n’a pas mordu à l’hameçon et au lieu d’intervenir directement dans le Donbass, elle a commencé une opération secrète massive destinée à soutenir les forces antinazies en Novorussie. Le plan russe a marché, et les forces de répression de la junte (FRJ) ont été sévèrement battues par les forces armées novorusses (FAN), alors que celles-ci souffraient pourtant d’un énorme déficit de puissance de feu, de blindés, de spécialistes et d’hommes (progressivement, l’aide secrète russe a renversé la situation).
A ce moment-là, la ploutocratie anglo-sioniste a vraiment flippé en réalisant tout à la fois que son plan était en train de s’effondrer et qu’il n’y avait rien qu’elle pût vraiment faire pour le sauver (une option militaire étant totalement impossible, comme je l’ai déjà expliqué dans le passé). Ils ont essayé les sanctions économiques, mais cela n’a fait qu’aider Poutine à s’engager dans des réformes qui n’étaient depuis longtemps que trop nécessaires. Mais le pire de tout cela, c’est qu’à chaque fois que l’Occident s’est attendu à ce que Poutine fasse une certaine chose, il a fait exactement le contraire :
• personne ne s’attendait à voir Poutine utiliser la force militaire en Crimée pour une prise de contrôle aussi rapide que l’éclair, et qui restera dans l’histoire comme quelque chose d’au moins aussi incroyable que le fut l’opération Storm-333.
• tout le monde (moi y compris) s’attendait à voir Poutine envoyer des forces en Novorussie. Il ne l’a pas fait.
• personne ne s’attendait à des contre-sanctions russes venant frapper le secteur agricole de l’UE.
• tout le monde s’attendait à des représailles de Poutine après la dernière série de sanctions. Il ne l’a pas fait.
Il y a comme un modèle derrière ceci, et c’est une base dans tous les arts martiaux : d’abord, ne jamais signaler vos intentions ; deuxièmement, user de feintes ; et troisièmement, frapper où et quand votre adversaire ne s’y attend pas .
A l’inverse, il y a deux choses qui sont profondément enracinées dans la mentalité politique occidentale et que Poutine ne fait jamais : il ne menace jamais et il ne prend jamais de posture. Par exemple, alors que les États-Unis sont pour l’essentiel en guerre avec la Russie, la Russie se fera un plaisir de soutenir une résolution américaine sur l’EIIL si elle est à son avantage. Et les diplomates russes parleront de « nos partenaires américains » ou de « nos amis américains », tandis que, dans le même temps, ils font davantage à eux seuls que le reste de la planète ensemble pour faire tomber l’Empire anglo-sioniste.
Comme je l’ai écrit dans le passé, contrairement à d’autres blogueurs et commentateurs, je ne suis ni voyant ni prophète, et je ne peux pas vous dire ce que Poutine pense ou ce qu’il fera demain. Mais ce que je peux vous dire, c’est ce que Poutine a déjà fait dans le passé. Il a (sans ordre particulier) :
• brisé le dos de l’oligarchie soutenue par les anglo-sionistes en Russie ;
• obtenu un succès vraiment miraculeux en Tchétchénie (un succès que personne, prophètes compris, n’avait prévu) ;
• littéralement ressuscité l’économie russe ;
• reconstruit les forces armées, les forces de sécurité et les forces de renseignement russes ;
• gravement perturbé les capacités de subversion des ONG étrangères en Russie ;
• fait plus pour la dé-dollarisation de la planète que quiconque avant lui ;
• fait de la Russie le leader incontesté à la fois des BRICS et de l’OCS ;
• ouvertement contesté le monopole de l’information de la machine de propagande occidentale (avec des projets comme Russia Today) ;
• arrêté une frappe US/OTAN imminente sur la Syrie par l’envoi d’un corps expéditionnaire de la Marine russe (qui a procuré à la Syrie une couverture radar complète de l’ensemble de la région) ;
• permis à Assad de l’emporter dans la guerre civile syrienne ;
• rejeté ouvertement le « modèle de civilisation universelle » de l’Occident et déclaré son soutien à un autre modèle, fondé sur une religion et des traditions ;
• ouvertement rejeté un « nouvel ordre mondial » unipolaire sous la conduite des Anglo-Sionistes, et déclaré son soutien à un ordre mondial multipolaire ;
• soutenu Assange (à travers Russia Today) et protégé Snowden ;
• créé et promu un nouveau modèle d’alliance entre le christianisme et l’islam, sapant ainsi le paradigme du « choc des civilisations » ;
• viré les Anglo-Sionistes de certains endroits clés dans le Caucase (Tchétchénie, Ossétie) ;
• viré les Anglo-Sionistes de certains endroits clés en Asie centrale (base de Manas au Kirghizstan) ;
• donné à la Russie les moyens de défendre ses intérêts dans la région de l’Arctique, y compris les moyens militaires ;
• établi une alliance stratégique à spectre complet avec la Chine, alliance qui est au cœur à la fois de l’OCS et des BRICS ;
• Il est actuellement en train de faire adopter des lois empêchant des intérêts étrangers de contrôler les médias russes ;
• Il a donné l’Iran les moyens de développer un programme nucléaire civil dont ce pays a grand besoin ;
• Il travaille avec la Chine à la création d’un système financier sous forme entièrement séparée de l’actuel système contrôlé par les Anglo-Sionistes (comprenant notamment un commerce en roubles ou en renminbi) ;
• Il a ré-établi un soutien politique et économique de la Russie à Cuba, au Venezuela, à la Bolivie, à l’Équateur, au Brésil, au Nicaragua et à l’Argentine ;
• dégonflé de manière très efficace la révolution colorée pro-américaine en Russie ;
• organisé le « Voentorg » [4] qui a armé les FAN ;
• donné refuge à des centaines de milliers de réfugiés ukrainiens ;
• envoyé une aide humanitaire vitale dont la Novorussie avait absolument besoin ;
• fourni aux FAN un soutien russe direct en matière de puissance de feu et peut-être même une couverture aérienne dans des endroits clés (le « chaudron sud », par exemple).
• enfin, et ce n’est pas là la moindre de ses actions, il a parlé ouvertement de la nécessité pour la Russie de rétablir elle-même sa propre « souveraineté » en l’emportant sur la 5ème colonne pro-américaine.
Et la liste s’allonge encore et encore. Ce que j’illustre ici, c’est qu’il y a une très bonne raison à la haine que les Anglo-Sionistes vouent à Poutine : la longue histoire du combat efficace qu’il mène contre eux. Donc, à moins de supposer que Poutine ait soudainement changé d’idée et d’intention, ou qu’il soit tout simplement venu à manquer d’énergie ou de courage, je soutiens que la notion d’un brusque virage à 180 degrés de sa part n’a pas de sens. Et d’ailleurs, les politiques qu’il mène actuellement sont parfaitement cohérentes, comme je vais maintenant essayer de l’expliquer.
Si vous êtes du genre à penser que « Poutine a trahi la Novorussie », s’il vous plaît mettez cette hypothèse de côté pour un moment, juste pour la commodité du raisonnement, et supposons ensemble que Poutine soit à la fois quelqu’un de raisonné et de logique. Que pouvait-il faire en Ukraine ? Pouvons-nous donner un sens à ce que nous observons ?
Tout d’abord, je considère que la séquence suivante n’est pas contestable :
Premièrement, la Russie doit l’emporter dans la guerre que les Anglo-Sionistes mènent actuellement contre elle. Ce que l’Empire veut en Russie, c’est un changement de régime, suivi par une absorption complète du pays dans la sphère d’influence occidentale, avec aussi une dislocation probable de l’intégrité de la Russie. Ce qui est menacé, c’est donc l’existence même de la civilisation russe.
Deuxièmement, la Russie ne sera jamais en sécurité avec un régime russophobe néo-nazi au pouvoir à Kiev. Les monstres nationalistes ukies ont prouvé qu’il est impossible de négocier avec eux (à ce jour, ils ont rompu absolument chacun des accords qu’ils ont signés), que leur haine pour la Russie est totale (comme le montrent leurs constantes références à l’utilisation d’hypothétiques armes nucléaires contre la Russie). Par conséquent,
Troisièmement, un changement de régime à Kiev suivi d’une dénazification complète est la seule voie possible qui permette à la Russie d’atteindre ses objectifs essentiels.
Encore une fois, et au risque que certains viennent à tordre et déformer mes mots, je dois répéter ici que la Novorussie n’est pas ce qui est en jeu ici. Ce n’est même pas l’avenir de l’Ukraine qui est en jeu. Ce qui est en jeu ici, c’est une confrontation planétaire (c’est bien la seule des thèses de Douguine avec laquelle je sois entièrement d’accord). L’avenir de la planète dépend de la capacité des pays des BRICS et de l’OCS à remplacer l’Empire anglo-sioniste par un ordre international multi-polaire qui serait véritablement très différent. La Russie est un élément crucial et indispensable dans cet effort (entrepris sans la Russie, un semblable effort serait voué à l’échec), et ce qu’elle fera en Ukraine décidera de son avenir. Quant à l’avenir de l’Ukraine, il dépend en grande partie de ce qui va arriver en Novorussie, mais pas exclusivement. D’une manière paradoxale, la Novorussie est plus importante pour la Russie qu’elle ne l’est pour l’Ukraine. Voici pourquoi :
Pour le reste de l’Ukraine, la Novorussie est perdue. POUR TOUJOURS. Même un effort conjoint Poutine-Obama ne pourrait empêcher cela. En fait, les Ukies le savent, et c’est pourquoi ils ne font aucun effort pour gagner les cœurs et les esprits de la population locale. Au point que, j’en suis convaincu, la prétendue destruction « aléatoire » et « délibérée » des infrastructures industrielle, économique, scientifique et culturelle de la Novorussie a été un acte intentionnel de vengeance haineuse, similaire à la façon dont les Anglo-Sionistes en viennent à chaque fois à tuer des civils lorsqu’ils ne parviennent pas à vaincre les forces militaires (les exemples de la Yougoslavie et du Liban viennent à l’esprit). Bien sûr, Moscou peut probablement forcer les dirigeants politiques novorusses sur place à signer une sorte de document d’acceptation de la souveraineté de Kiev, mais ce sera une fiction ; il est bien trop tard pour cela. Si ce n’est pas de jure [2], alors en tout cas de facto [3] la Novorussie n’acceptera jamais d’en revenir à la primauté et au gouvernement de Kiev, et tout le monde le sait, à Kiev, en Novorussie et en Russie.
A quoi pourrait ressembler une indépendance de facto mais non de jure ?
Pas de militaires ukrainiens, pas de garde nationale, pas de bataillons des oligarques ou de SBU, une complète indépendance économique, culturelle, religieuse, linguistique et éducative, des dirigeants élus localement et des médias locaux, mais tout cela avec des drapeaux ukies, pas de statut d’indépendance officielle, pas de forces armées novorusses (elles seront dénommées « forces de sécurité régionale » ou quelque chose d’approchant, voire même « forces de police ») et pas de monnaie novorusse (même si le rouble – avec le dollar et l’euro – sera utilisé quotidiennement dans la région). Les hauts fonctionnaires devront être officiellement approuvés par Kiev (ce que Kiev fera, bien entendu, de peur que son impuissance ne devienne visible). Ce sera un arrangement temporaire, transitoire et instable, mais il devrait suffire pour fournir à Kiev un moyen de sauver la face.
Cela posé, je d
Posez-vous la question suivante : si vous étiez Poutine et que votre objectif était un changement de régime à Kiev, préféreriez-vous que la Novorussie fasse partie de l’Ukraine ou non ? Je dirais qu’avoir une Novorussie intégrée à l’Ukraine est de beaucoup le mieux, pour les raisons suivantes :
1. cela fait d’elle une partie prenante, ne serait-ce qu’à un niveau macro-économique, des processus ukrainiens, tels que les élections nationales ou les médias nationaux ;
2. cela permet de comparer sa situation avec celle du reste de l’Ukraine ;
3. cela rend beaucoup plus facile de peser sur le commerce, les affaires, les transports, etc ;
4. cela crée un centre politique alternatif (exempt de Nazis) à Kiev ;
5. cela facilite la pénétration des intérêts russes (de toutes sortes) en Ukraine ;
6. cela supprime la possibilité de mettre en place un « mur » ou une barrière façon guerre froide le long d’un marqueur géographique précis ;
7. cela fait taire l’accusation selon laquelle la Russie veut la partition de l’Ukraine.
En d’autres termes, maintenir la Novorussie de jure, c’est-à-dire théoriquement, en tant que partie de l’Ukraine est la meilleure façon de se présenter comme se conformant aux exigences anglo-sionistes, tout en fragilisant la junte nazie au pouvoir. Dans un article récent, j’ai décrit ce qu’il me semblait loisible à la Russie de faire sans encourir de conséquences majeures :
1. s’opposer politiquement au régime partout : à l’ONU, dans les médias, vis-à-vis de l’opinion publique, etc ;
2. exprimer son soutient politique à la Novorussie ainsi qu’à toute forme d’opposition ukrainienne ;
3. poursuivre la guerre de l’information (les médias russes font un excellent travail) ;
4. empêcher la Novorussie de tomber (aide militaire secrète) ;
5. maintenir impitoyablement la pression économique sur l’Ukraine ;
6. perturber autant qu’il est possible l’« axe de la bienveillance » des États-Unis et de l’UE ;
7. aider la Crimée et la Novorussie à devenir économiquement et financièrement prospères ;
En d’autres termes : donner l’apparence de rester en dehors tout en profitant de chaque occasion d’intervenir.
J’entends déjà le chœur des « patriotes du hourra » indignés (c’est ainsi qu’on les appelle en Russie) m’accusant de ne voir la Novorussie que comme un outil au service des fins politiques russes et d’ignorer la mort et la souffrance endurées par le peuple de Novorussie. A cela, je vais simplement répondre ce qui suit :
Quelqu’un croit-il sérieusement qu’une Novorussie indépendante puisse vivre en paix et en sécurité, si peu que ce soit, sans un changement de régime à Kiev ? Si la Russie ne peut pas se permettre une junte nazie au pouvoir à Kiev, la Novorussie le peut-elle ?!
En général, les « patriotes du hourra » s’étendent longuement sur ce qu’il faudrait faire aujourd’hui mais restent des plus brefs s’agissant d’une quelconque perspective à moyen ou long terme. Tout comme ceux qui croient que la Syrie peut être sauvée par le simple envoi de la force aérienne russe, les « patriotes du hourra » croient que la crise en Ukraine peut être résolue en y envoyant des tanks. Ils sont un parfait exemple de la mentalité à laquelle H.L. Mencken faisait allusion quand il a écrit : « Pour chaque problème complexe, il existe une réponse claire, simple et erronée ».
La triste réalité, c’est que la mentalité qui s’exprime derrière ces solutions « simples » est toujours la même : ne jamais négocier, jamais de compromis, ne jamais regarder à long terme, mais seulement à l’avenir immédiat, et utiliser la force dans tous les cas.
Mais ici, les faits sont : le bloc US/OTAN est puissant, militairement, économiquement et politiquement, et il a la capacité de faire mal à la Russie, en particulier avec le temps. En outre, si cette dernière est en mesure de vaincre facilement l’armée ukrainienne, ce ne serait pas là une « victoire » très significative. Extérieurement, une telle victoire ne manquerait pas de déclencher une détérioration massive du climat politique international, tandis qu’à l’intérieur, les Russes auraient à éliminer les nationalistes ukrainiens (lesquels ne sont pas tous nazis) par la force. La Russie pourrait-elle faire cela ? Encore une fois, la réponse est oui, mais à quel prix ?
Un de mes bons amis était colonel dans l’unité des forces spéciales du KGB appelé « Kaskad » (qui plus tard fut rebaptisée « Vympel »). Un jour, il m’a raconté comment son père, lui-même opérateur spécial pour le GRU, s’est battu contre les insurgés ukrainiens de la fin de la seconde guerre mondiale, de 1945 jusqu’en 1958 : ce qui fait treize années ! Il a fallu à Staline et à Khrouchtchev 13 ans pour parvenir à écraser les insurgés nationalistes ukrainiens. Est-ce que quelqu’un, s’il a toute sa raison, croit sincèrement que la Russie moderne devrait répéter ce genre de politique et passer à nouveau des années à traquer les insurgés ukrainiens ?
A ce sujet, d’ailleurs, si les nationalistes ukrainiens ont pu combattre le régime soviétique sous Staline et Khrouchtchev pendant pas moins de 13 années après la fin de la guerre, comment se fait-il qu’il n’y ait pas de résistance anti-nazie visible dans les provinces de Zaporijia, Dnepropetrovsk ou Kharkov ? Oui, Lugansk et Donetsk se sont soulevées et ont pris les armes, avec beaucoup de succès ; mais le reste de l’Ukraine ? Si vous étiez Poutine, auriez-vous cette confiance qu’en libérant les villes en question, les forces russes y recevraient le même accueil qu’elles ont connu en Crimée ?
Et pourtant, les « patriotes du hourra » continuent à pousser pour davantage d’intervention de la Russie et en faveur d’une avancée des opérations militaires novorusses contre les forces ukies. N’est-il pas temps pour nous de commencer à nous demander qui seraient les bénéficiaires de telles politiques ?
C’est un vieux truc de la CIA américaine que de se servir des médias sociaux et de la blogosphère pour pousser à l’extrémisme nationaliste en Russie. Un patriote et journaliste russe bien connu et respecté, Maksim Shevchenko, avait un petit groupe de personnes organisées pour traquer les adresses IP de certains des contributeurs nationalistes radicaux les plus influents l’internet russe, qu’ils s’agisse d’organisations, de sites Web, de blogs ou même de pages personnelles. Il s’avère que la plupart étaient basés aux États-Unis, au Canada et en Israël. Surprise, surprise. Ou peut-être pas de surprise du tout ?
Pour les Anglo-Sionistes, soutenir les extrémistes et nationalistes enragés en Russie paraît parfaitement sensé. Soit qu’ils parviennent à influencer l’opinion publique, soit à tout le moins qu’on puisse se servir d’eux pour dénigrer le régime au pouvoir. Personnellement, je ne vois pas de différence entre un Oudaltsov ou un Navalnyi d’un côté, et un Limonov ou un Douguine de l’autre. Ils ont pour seul effet les uns comme les autres de rendre les gens furieux contre le Kremlin. Quel que soit le prétexte utilisé pour cela, cela n’a guère d’importance : pour Navalnyi, ce sont des « élections volées » ; pour Douguine, la « Novorussie poignardée dans le dos ». Et cela n’a pas non plus d’importance de savoir lesquels d’entre eux sont des agents effectivement payés par l’Occident et lesquels ne sont que des « idiots utiles ». Dieu soit leur juge. Mais ce qui importe, c’est que les solutions qu’ils préconisent ne sont pas des solutions du tout, seulement de purs prétextes pour dénigrer le régime au pouvoir.
Dans l’intervalle, non seulement Poutine n’a en rien vendu, poignardé, troqué ou autrement abandonné la Novorussie, mais on voit au contraire que Porochenko parvient à peine à se maintenir au pouvoir et que le Banderastan est en train de disparaître. Il y a aussi, heureusement, beaucoup de gens qui voient clair à travers ce galimatias pessimiste et dépourvu de sens, que ce soit en Russie ( Yuri Baranchik) et à l’étranger ( M.K. Bhadrakumar).
J’ai déjà abordé cette question dans un article récent, mais je pense qu’il est important ici de revenir sur ce sujet ; et la première chose qu’il me semble crucial de comprendre dans le contexte russe comme dans le contexte ukrainien, c’est que les oligarques sont une réalité de la vie. Cela ne veut pas dire que leur présence soit une bonne chose, seulement que Poutine et Porochenko, ainsi d’ailleurs que n’importe qui, bref : que quiconque essaierait de faire ou d’obtenir quoi que ce soit là-bas doit tenir compte des oligarques. La grande différence, c’est que, alors qu’à Kiev un régime contrôlé par les oligarques a été remplacé par un régime d’oligarques, en Russie l’oligarchie n’est capable que d’influencer le Kremlin, pas de le contrôler. Les exemples de Khodorkovski ou Evtushenkov montrent que le Kremlin peut encore mettre à bas un oligarque en cas de besoin, et le fait parfois.
Il reste que c’est une chose de s’en prendre à un ou deux oligarques, et que c’en est une autre de les retirer de l’équation ukrainienne : cette dernière éventualité ne se concrétisera tout simplement pas. Dès lors, pour Poutine, toute stratégie ukrainienne doit tenir compte de la présence et, pour parler franchement, du pouvoir des oligarques ukrainiens et de leurs homologues russes.
Poutine sait que les oligarques n’ont de vraie loyauté qu’à l’égard d’eux-mêmes, et que leur seul « pays » est le lieu où se trouvent leurs actifs. Poutine étant un ancien officier du renseignement étranger du KGB, c’est pour lui un atout évident, parce que cet état d’esprit lui offre la possibilité de les manipuler. Tout agent de renseignement sait que les gens peuvent être manipulés par un nombre seulement limité d’approches : l’idéologie, l’ego, le ressentiment, le sexe, un squelette dans le placard et, bien sûr, l’argent. Du point de vue de Poutine,Rinat Akhmetov, par exemple, est un gars qui avait l’habitude d’employer quelque chose comme 200.000 personnes au Donbass, quelqu’un qui peut évidemment faire avancer les choses, et dont la loyauté officielle envers Kiev et l’Ukraine n’est qu’un camouflage : sa réelle fidélité va à son argent. Ainsi, Poutine n’a nul besoin d’aimer ou de respecter Akhmetov – et de fait la plupart des officiers de renseignement n’ont qu’un mépris souverain pour ce genre de personne – mais cela signifie aussi que pour Poutine, Akhmetov est une personne à qui il est absolument crucial de parler, avec qui il faut explorer les options, et une personne qu’éventuellement on utilisera pour atteindre un objectif stratégique national russe dans le Donbass.
Je l’ai déjà écrit à de nombreuses reprises sur ce site : les Russes parlent à leurs ennemis. Avec un sourire amical. Cela est encore plus vrai pour un ancien officier de renseignement, formé à toujours communiquer, à sourire, à se montrer engageant et compréhensif. Pour Poutine, Akhmetov n’est pas un ami ni un allié, mais il est un personnage puissant qui peut être manipulé à l’avantage de la Russie. Ce que j’essaie d’expliquer ici, c’est ceci :
Il circule de nombreuses rumeurs au sujet de négociations secrètes entre Rinat Akhmetov et divers responsables russes. Certains disent que Khodakovski est impliqué. D’autres mentionnent Sourkov. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que de telles négociations secrètes sont en cours. En fait, je suis sûr que chacune des parties concernées parle à chacune des autres parties concernées. Même avec une créature répugnante, malfaisante et vile comme Kolomoiski. En fait, le signal le plus sûr de ce que quelqu’un aurait finalement décidé de le sortir du jeu serait que personne ne parlât plus avec lui. Cela arrivera probablement, avec le temps, mais certainement pas avant que la base de son pouvoir ait été suffisamment érodée.
Je connais un blogueur russe qui estime qu’Akhmetov a déjà été « convaincu » (lire : acheté) par Poutine et qu’il est prêt à jouer selon les nouvelles règles, celles qui prévoient désormais que « Poutine est le patron ». Peut-être. Peut-être que pas encore, mais bientôt. Peut-être que jamais. Tout ce que je dis, c’est que des négociations entre le Kremlin et les oligarques locaux ukies sont aussi logiques et inévitables que le furent les contacts des américains avec la mafia italienne avant que les forces armées des États-Unis ne viennent à entrer en Italie.
Oui, absolument. Tout d’abord, et c’est le plus important, on la trouve à l’intérieur du gouvernement Medvedev lui-même et à l’intérieur même de l’administration présidentielle. Rappelez-vous toujours que Poutine a été amené au pouvoir par deux forces opposées : les services secrets et le grand capital. Et oui, même s’il est vrai que Poutine a considérablement affaibli la composante « grand capital » (ce que j’appelle les « intégrationnistes atlantistes »), ils sont toujours là et bien là, mais ils se montrent plus modérés, plus prudents et moins arrogants que durant le temps où Medvedev était officiellement en fonction. Le grand changement intervenu au cours de ces dernières années, c’est que la lutte entre les patriotes (les « souverainistes » eurasiens) et la 5ème colonne se fait maintenant à l’air libre ; pour autant, elle est loin d’être terminée. Et nous ne devons jamais sous-estimer ces gens : ils ont beaucoup de pouvoir, beaucoup d’argent, et une capacité fantastique à corrompre, à menacer, à discréditer, à saboter, à camoufler, à diffamer, etc. Ils sont aussi très intelligents, ils peuvent engager les meilleurs professionnels dans n’importe quel domaine, et ils sont très, très bons pour monter d’affreuses campagnes politiques. Ainsi par exemple, ceux de la 5e colonne s’efforcent de donner une voix à l’opposition nationale-bolchevique (aussi bien Limonov que Douguine obtiennent régulièrement du temps d’antenne à la télévision russe) et la rumeur veut qu’ils financent une grande partie des médias nationaux-bolcheviques (tout comme les frères Koch ont payé pour le Tea Party aux Etats-Unis).
Un autre problème est que, bien que ces gars-là accomplissent objectivement les besognes de la CIA américaine, il n’existe aucune preuve de cela. Comme me l’a dit à plusieurs reprises un ami avisé : la plupart des conspirations sont en fait des collusions, et ces dernières sont très difficiles à prouver. Pour autant, la communauté d’intérêts entre la CIA des Etats-Unis et les oligarchies russe et ukrainienne est tellement évidente qu’elle en est indéniable.
Nous avons donc maintenant une image complète. Encore une fois, Poutine doit faire face simultanément à
1) une campagne de manipulation psychologique (ce qu’on appelle une campagne PsyOp) stratégique dirigée par les États-Unis, le Royaume-Uni et autres, combinant diabolisation de Poutine par les grandes entreprises de médias et campagne dans les médias sociaux tendant à le discréditer pour sa passivité et son manque de réponse appropriée face à l’Occident ;
2) un groupe, petit mais qui donne fort de la voix, de (pour l’essentiel) nationaux-bolchéviques (Limonov, Douguine et compagnie) qui ont trouvé dans la cause novorusse une occasion parfaite pour dénigrer Poutine en lui reprochant de ne pas partager leur idéologie et leurs « solutions » à la fois « claires, simples et erronées » ;
3) un réseau de puissants oligarques qui entendent profiter de l’occasion offerte par les actions des deux premiers groupes pour promouvoir leurs propres intérêts ;
4) une 5ème colonne pour laquelle tout ce qui précède constitue une opportunité fantastique d’affaiblir les souverainistes eurasiens ;
5) un sentiment de déception chez beaucoup de gens sincères, qui estiment que la Russie se comporte comme un punching-ball purement passif ;
6) une majorité écrasante de personnes en Novorussie qui veulent une complète indépendance (de facto et de jure) vis-à-vis de Kiev et sont sincèrement convaincues que des négociations avec Kiev sont en fait un prélude à une trahison des intérêts novorusses par la Russie ;
7) la réalité objective qu’intérêts russes et novorusses ne sont pas identiques ;
8) la réalité objective que l’Empire anglo-sioniste est encore très puissant et même potentiellement dangereux.
Il est très, très difficile pour Poutine d’essayer d’équilibrer ces forces de telle manière que le vecteur résultant soit en coïncidence avec l’intérêt stratégique de la Russie. Je dirais qu’il n’y a tout simplement pas d’autre solution à cette énigme que de séparer la politique officielle (le déclaratif) de la Russie et ses véritables actions. L’aide secrète à la Novorussie – le Voentorg – en est un exemple, mais seulement un exemple limité parce que ce la Russie doit faire à présent va au-delà des seules actions secrètes : elle doit apparaître comme faisant une chose tout en faisant exactement le contraire. Il est dans l’intérêt stratégique de la Russie, à ce stade, de paraître :
1) soutenir une solution négociée en vue de ce qui ressemblerait à une Ukraine unitaire non-alignée, avec des droits régionaux étendus reconnus à toutes les régions, mais, dans le même temps, de s’opposer politiquement au régime partout où il est possible : à l’ONU, dans les médias, devant l’opinion publique, etc., cela en soutenant à la fois la Novorussie et toute forme d’opposition ukrainienne ;
2) donner aux oligarques russes et ukrainiens une raison pour, sinon soutenir, du moins ne pas s’opposer à une telle solution (par exemple : en ne nationalisant pas les actifs d’Akhmetov dans le Donbass), mais, dans le même temps, de faire en sorte de continuer à disposer de suffisamment de « puissance de feu » (littéralement) pour garder l’oligarque en question sous contrôle ;
3) négocier avec l’UE sur la mise en œuvre effective de l’accord d’association de l’Ukraine avec l’UE, mais, dans le même temps, d’aider l’Ukraine à commettre un suicide économique en s’assurant qu’elle subisse exactement ce qu’il faut d’étranglement économique pour empêcher le régime de rebondir ;
4) négocier avec l’UE et la junte de Kiev sur la livraison de gaz, mais, dans le même temps, de faire en sorte que le régime paie suffisamment pour s’en retrouvé « cassé » ;
5) se montrer, de façon générale, non conflictuelle et non belliqueuse à l’endroit des Etats-Unis, mais, dans le même temps, de faire tout son possible pour créer des tensions entre les Etats-Unis et l’Union européenne ;
6) paraître généralement disponible et disposée à faire des affaires avec l’Empire anglo-sioniste, mais, dans le même temps, d’édifier un système international qui ne soit centré ni sur les Etats-Unis ni sur le dollar.
Comme vous le voyez, cela va bien au-delà d’un programme d’action secrète régulière. Ce à quoi nous avons affaire, c’est à un programme très complexe, multi-couches, en vue d’atteindre en Ukraine l’objectif le plus important de la Russie (un changement de régime et une dénazification) tout en inhibant autant que possible les tentatives anglo-sionistes de recréer une crise Est-Ouest grave et durable dans laquelle, pour l’essentiel, l’UE fusionnerait avec les USA.
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