Le Woerthgate, Médiapart, et la renaissance des médias français
Auteur : Fabrice Epelboin - Source : ReadWriteWeb France
Alors que partout dans le monde, l’industrie des média s’interroge sur la façon de muter afin de s’insérer dans le numérique, un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur digital.
Subventions, connivences, guerre ouverte avec les représentants de l’envahisseur numérique – comme Google qu’il s’agit de taxer – tout est bon pour conserver le monde d’antan, y compris relancer des journaux moribonds en faisant mine de croire que les années 60 sont revenues
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Les subventions permettaient d’imaginer un monde où la presse gauloise aurait enfin trouvé un succédané de modèle économique, à défaut de comprendre que la publicité, dans le numérique, devait être partagée avec beaucoup d’autochtones, et qu’il y avait bien d’autres voies à explorer, mais c’était sans compter sur les lecteurs – en voie de disparition – et le rôle supposé de la presse dans une démocratie, celui d’un quatrième pouvoir.
Contre toute attente, alors qu’Hadopi et Loppsi avait déjà réduit à néant auprès d’une génération toute entière la crédibilité de la presse traditionnelle, c’est la presse en ligne qui a adopté le modèle économique le moins imaginatif qui est en passe de donner ses lettres de noblesses à l’information sur internet : Mediapart.
En partant du principe – juste mais jugé irréaliste par beaucoup (dont moi) – que les lecteurs se devaient de financer l’indépendance de la presse, le « pure player » fondé par Edwy Plenel a su, après quelques années d’existence, renverser l’équation funèbre en commençant par le commencement : démontrer l’utilité démocratique d’un média indépendant pour attirer à lui des lecteurs payants. Et ça marche.
Depuis l’affaire Woerth-Bettencourt, Mediapart engrange les abonnements au rythme de plusieurs centaines par jour, au point où il est raisonnable d’estimer désormais qu’il atteindra tôt ou tard le seuil fatidique de la rentabilité. Un cap que bien peu d’organes de presse d’information peuvent se targuer d’avoir dans leur objectif.
En imposant l’agenda politique plusieurs semaines de suite, Mediapart a réussi de façon flagrante ce que les blogs avaient fait de façon plus discrète avec Hadopi dans les années qui précédèrent : perturber la machine médiatique au service de l’Etat, imposer un débat là où les propriétaires de groupes de presse n’en voulaient pas. Sauf que cette fois, il ne s’agit pas de démontrer l’iniquité d’une loi, mais du système tout entier.
Comme le résume fort à propos Le Point, s’adressant à ses lecteurs dans un article reprenant leurs commentaires sous le titre explicite de « Affaire Woerth-Bettencourt : faut-il faire table rase ? » :
« Législateurs, politiques de tous bords, institutions judiciaires, médias : tous les acteurs de la vie publique vous apparaissent entachés, leur légitimité dégradée. »
Une situation unique dans une démocratie
Dans la plupart des autres démocraties de la planète, la presse traditionnelle, même si elle est également dans une situation dramatique face au numérique, a gardé la main sur ce rôle de quatrième pouvoir : aucun acteur n’est venu lui ravir cette position. Il existe bien des exemples, comme le Huffington Post, où des ‘pure players’ sont venu s’insérer dans le club du contre pouvoir, mais sans jamais jusqu’ici les en évincer.
En France, Mediapart, accompagné de Rue89 et de bakchich, et suivi d’une cohorte de blogs dont certains affichent désormais des fréquentations et une ‘influence’ naguère réservée aux titres de presse, on tout simplement ravi à la presse traditionnelle ce rôle de quatrième pouvoir.
Car la presse traditionelle, de l’aveu même de la directrice de la rédaction du Monde, »se laisse trop souvent instrumentaliser et perd son rôle de contre-pouvoir ». Un constat amer pour ce qui fut autrefois un journal de référence, symbole même de ce contre pouvoir.
L’actualité politique (et pas seulement) se fait désormais exclusivement ou presque sur internet, les média traditionnels, eux, se contentent désormais d’en rendre compte à leur lecteurs (en prenant trop souvent le soin de filtrer ce qui pourrait déplaire aux actionnaires ou aux annonceurs).
La presse papier Française réduite à un rôle de ‘follower’, là où le New York Times, le Washington Post ou le Guardian ont montré qu’ils sont encore les maitres sur leurs terres pour ce qui est d’imposer l’agenda politique : cette situation est unique dans le monde, résultante d’une conjoncture de musellement de la presse, doublée d’une crise économique qui l’a poussé à une crise existentielle (tardive) qui confine à l’apathie.
Ce constat ne surprendra nullement ceux qui ont suivit depuis le début les affrontements entre les politiques au pouvoir et la bloggosphère au sujet d’Hadopi, débat promptement muselé dans les média sous divers prétextes : ‘trop geek’ pour certains, trop dangereux au vu de la proximité des actionnaires avec les intérêts en jeu pour d’autres. Mais les conséquences de trois années de contrôle et d’auto censure sur la presse officielle on provoqué une double décrépitude de celle-ci : abime financière, doublée d’une perte absolue de crédibilité.
En France, qu’une information soit donnée sur du papier, à la télé, ou sur internet, il est prudent de la vérifier soit même et de la remettre en question.
Seuls quelques rare sources d’information peuvent être jugées crédibles car réellement indépendantes, et toutes ou presque, sont exclusivement disponibles sur internet (dont certains titres de la presse papier Suisse et Belge, bien plus lucides et courageux quel leurs homologues Français).
Pire encore, en refusant le dialogue entre ceux qui produisent l’information et des lecteurs devenus contributeurs, elle s’est aliéné toute possibilité de pouvoir un jour rebondir sur une communauté, à l’image des blogs, mais également de sites comme Mediapart ou Rue89 qui eux ont compris que les lecteurs avaient radicalement changé, notamment par le fait qu’ils contribuaient désormais de façon active à l’information, à sa dissémination, et à l’âme d’un média sur internet, là où ils n’étaient naguère que de simples portes monnaie.
La communauté a remplacé depuis longtemps le lectorat, et très peu de média en France sont conscient du bouleversement systémique que cela représente, du marketing à la façon même de produire de l’information, tout, absolument tout a été changé par ce simple fait. En continuant sa course effrénée au lectorat en ligne, à coup de référencement et de Google News, et en négligeant de façon systématique la dimension communautaire, la presse traditionnelle n’a guère fait que creuser sa tombe un peu plus profondément.
Une chance pour la France ?
Ce qui pourrait n’apparaitre que comme une situation dramatique pour l’écosystème de l’information politique Français pourrait s’avérer en réalité une fantastique opportunité pour la presse Française.
Une entreprise de presse est infiniment difficile à reconvertir. Lois sociales rendant tout changement en terme de personnel dispendieux, habitudes gravées dans des conventions collectives impossibles ou presque à faire évoluer, droit d’auteur bloquant tout – jusqu’à la fameuse Hadopi, ce qui pour le coup est assez drôle -, un constat s’impose : face à un système aussi conservateur, il est beaucoup plus simple de tout effacer et de recommencer à partir d’une feuille blanche.
Du passé faisons table rase
C’est probablement ce constat qu’on du faire, à un moment ou un autre, les fondateurs de Mediapart, de Rue89 ou de bakchich, respectivement des anciens du Monde, de Libération et du Canard Enchaîné. Car derrière ces pure players, ce sont bien des vieux briscards de la presse traditionnelle que l’on retrouve aux commandes, qui ont emporté avec eux leurs idéaux d’une presse qui a un rôle central dans le fonctionnement d’une démocratie, qu’elle soit en ligne ou sur papier.
L’étouffement par le pouvoir en place de la presse «pas vraiment en ligne» n’aura au final qu’un seul effet, celui de donner un territoire au pure players. Un territoire très difficile à préempter pour le pouvoir en place, à moins de passer de façon radicale dans le camps des dictatures. Le pouvoir se contente pour l’instant de tout faire pour le discréditer, à l’aide d’une méthode appelée Loi de Godwin, en usage depuis déjà plusieurs années chez les communicants de l’UMP dès qu’il s’agit de parler d’internet.
Au final, si tant est que l’on reste encore quelques années dans une démocratie (ce qui reste encore à ce jour assez probable), le territoire médiatique Français sera fondamentalement différent de ce qu’il était avant que l’actuel président de la république – ami intime avec la plupart des patrons de l’ancienne presse – n’arrive au pouvoir. Une accélération de la mutation de la presse unique dans le monde d’aujourd’hui. Seules les dictatures ont connu un tel basculement, et encore, pas dans un laps de temps aussi court.
Du point Godwin à l’explosion nucléaire ?
Mais non content de détruire les entreprises de ses amis, le pouvoir en place pourrait bien être sur le point, avec sa stratégie de Godwin, de faire de même avec l’entreprise de l’un de ses financiers occultes.
Pour défendre son territoire, celui d’une presse docile qui ne fait guère que reprocher au pouvoir en place ses choix en matière d’horlogerie Suisse, la stratégie de gestion de crise choisie par le pouvoir – discréditer l’adversaire «internet» en le qualifiant de fasciste et de collabo – défie l’entendement, et montre une incapacité à anticiper les réactions du camp d’en face, celui de l’internet tout entier, du plus respectable organe de presse en ligne au plus hargneux des trolls, soudés et coalisés contre un pouvoir unanimement ressenti comme injuste, inique et corrompu.
La menace d’un revival du Front National ? N’est-ce pas précisément la stratégie mis en place par «l’internet» lors de l’affaire Mitterrand ?
Car la question qui commence à déferler dans les commentaires des lecteurs-citoyens n’est pas loin s’en faut en faveur du FN – assez discret qui plus est dans le Woerthgate – elle consiste a faire rebondir le point Godwin sur l’origine même des fonds suspects, au risque de transformer un scandale politique en catastrophe industrielle et boursière. Une catastrophe qui reposera entièrement sur les épaules de l’UMP.
Même si les accusations de fascisme et de collaborationniste à l’égard d’internet sont monnaie courante dans le camp de l’UMP, quel est l’abruti qui a décidé d’adopter la même stratégie dans l’affaire Woerth-Bettencourt, ex affaire Barnier-Bettencourt, au risque d’en faire une affaire Bettencourt-tout-court et de provoquer un examen de conscience de la France toute entière sur son passé collaborationniste et fasciste ?
N’y a-t-il pas quelqu’un au château capable de voir là un jeu à deux bandes offert sur un plateau d’argent à ses adversaires ? En accusant l’internet de fascisme, le pouvoir n’est-il pas tout simplement en train de creuser sa propre tombe ?
La presse libre désormais synonyme d’internet
Tout cela ne serait pas complet sans citer un autre média, monté lui aussi pas un ancien de la presse traditionnelle, qui s’est échappé pour monter un média online avec, qui plus est, le même modèle économique que Médiapart : Arretsurimages, qui décrypte comme personne l’affrontement médiatique entre la presse libre et celle qui est plus ou moins sous contrôle. Edifiant, et indispensable.
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En tant que citoyens – pour peu que vous soyez soucieux de rester en démocratie -, il ne vous reste plus qu’une chose à faire :
- Vous abonner à Mediapart (9€/mois)
- Vous abonner à Arretsurimage (3€/mois)
- sans oublier d’acheter les éditions papier de Rue89 et Bakchich
Soit une dizaine d’euros par mois pour conserver une démocratie. Ce n’est pas bien cher, à peine plus que le prix d’une hypothétique licence globale, alternative à la surveillance généralisée de la population instaurée par Hadopi puis Loppsi, autre grande menace pour la démocratie Française.
Auteur : Fabrice Epelboin - Source : ReadWriteWeb France
Commentaire :
Cependant, le contenu de ces nouveaux journaux du Net accuse lui aussi une dérive vers la droite, pas aussi accentuée que sur la presse papier, mais significative. Seuls les blogs conservent vraiment cet esprit frondeur du Net qu'on aime. Pas tous les blogs bien sûr, car tout l'éventail des opinions y est représenté, et c'est tant mieux. Pour donner des exemples, Gauche de Combat ne traitera pas l'information de la même façon que L'Hérétique, ce qui ne les empêche pas d'être remarquables tous les deux.
BO
http://www.dazibaoueb.fr/article.php?art=14256