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On achève bien les chevaux
avril 2nd, 2011
«
Pour parvenir à l’objectif de 5
% de marge opérationnelle courante en
2011, le PDG de Thales, Luc Vigneron, a exigé de ses équipes qu’elles fassent plus que les 5
% qu’il a officiellement annoncés lors de la présentation des résultats du groupe d’électronique. Quand lui sera jugé sur cet objectif par son conseil d’administration, ses équipes le seront sur des objectifs plus ambitieux…
»
Cette «
brève
», parue dans La Tribune du 28
mars, est particulièrement révélatrice des méthodes de «
gouvernance
» des entreprises, notamment des plus grandes, en ce début de XXIe
siècle.
Pour mémoire, Thales, c’est 68
000
collaborateurs dans 50
pays, 13
milliards d’euros de chiffre d’affaires, une activité tournée vers l’aéronautique, l’armement, l’électronique, les radars… bref un acteur influent du lobby militaro-industriel, pour reprendre les termes du président Eisenhower, déjà cité dans un précédent billet (voir De Mégara à Wall Street).
Une fois le décor posé, quels enseignements tirer de cette information concernant Thales
?
Inique…
Au risque de nous répéter – car nous avons abordé cette question dans de nombreux billets – cette attitude de la part du PDG de Thales ne fait que refléter la dévotion absolue aux marchés financiers, le culte rendu au veau d’or dont les patrons comme Luc Vigneron sont les grands prêtres, les thuriféraires ou les coryphées, pour reprendre des termes chers à feu Joseph Caillaux.
Comment les «
équipes
» de Luc Vigneron vont-elles satisfaire l’exigence de leur patron et, à travers lui, des actionnaires de Thales
? C’est très simple
: essentiellement en compressant les salaires, en licenciant, en augmentant la charge de travail des salariés encore en poste, en serrant le cou des fournisseurs, en résumé en «
pressant le citron
» des 68
000
collaborateurs du groupe (qui ne seront sans doute plus aussi nombreux fin
2011), en appauvrissant encore un peu plus des employés qui – très majoritairement – appartiennent à la classe moyenne et auxquels on va demander, via des plans de communication internes, des «
projets d’entreprise
» et autres billevesées aux noms ronflants, d’en faire plus en moins de temps et avec moins de moyens.
Les conséquences de cette «
exigence
» sont hélas d’ores et déjà connues
: augmentation du stress, pression accrue sur l’ensemble des collaborateurs, multiplication des maladies professionnelles et des suicides directement liés à cette situation. La pièce a déjà été jouée ad nauseam chez Peugeot, Renault, France Télécom et EDF mais, quelles que soient les conclusions et recommandations d’experts et autres comités Théodule, quelles que soient les bonnes intentions de façade et les larmes de crocodile versées par le PDG, la réalité reprend vite le dessus
: la «
marge opérationnelle courante
» pèse plus que la vie des hommes.
Injuste…
Dans cette affaire, le plus frappant est que l’État est un des principaux actionnaires de Thales, qu’il compte plusieurs représentants au conseil d’administration, que celui-ci inclut parmi ses membres le président de France Télécom (un expert en matière de gestion du stress
!).
L’hypocrisie d’État atteint là toute sa splendeur
: après avoir multiplié les effets de manche quand les employés de France Télécom se suicidaient l’un après l’autre en lançant un «
plan d’urgence anti-stress
», l’État français victime d’hyper-présidence laisse le scénario se répéter à l’identique chez Thales. Dans un an, dans deux ans, on «
découvrira
» que le niveau de stress est devenu insupportable dans cette entreprise, que les suicides s’y sont multipliés, on s’indignera, on commandera un rapport, on sermonnera le PDG, on le clouera au pilori si les nécessités politiques le commandent, alors que le simple bon sens permet d’ores et déjà de voir que tous les éléments sont en place pour générer une situation «
à la France Télécom
».
Immoral…
À ce gâchis humain programmé s’ajoute une immoralité sans bornes
: le capitaine en demande plus à ses matelots qu’il ne s’en impose à lui-même. En exigeant de ses collaborateurs qu’ils atteignent un objectif supérieur à celui qui lui est fixé et qui lui permettra, en cas de réussite, de percevoir bonus et autres stock-options, Luc Vigneron personnifie remarquablement une société qui fonctionne selon le principe «
deux poids, deux mesures
».
Nous avions déjà abordé cette question il y a environ un an dans Prends l’oseille et tire-toi à propos de l’affaire Zacharias, décrivant le gouffre ahurissant qui s’est creusé entre d’une part l’aristocratie financière et la classe dirigeante, dont Luc Vigneron fait partie, d’autre part le nouveau Tiers état.
On voit donc croître et prospérer un système et des attitudes d’une iniquité absolue, aboutissant à créer du malheur et de la souffrance pour la quasi-totalité de la population afin que quelques-uns s’enrichissent au-delà du raisonnable, d’une moralité indigne car l’exigence la plus forte pèse sur la base, non sur le sommet qui bénéficie systématiquement de règles dérogatoires plus favorables.
… mais calculé
Une telle souffrance, un tel sentiment d’injustice, ne peuvent générer que de la frustration, du dégoût, voire de la haine à l’égard de tout un «
système
» dans lequel, faute d’analyse et compte tenu de la puissance de communication dont dispose la nouvelle aristocratie, tout est gaillardement mélangé. D’où la poussée d’un vote d’extrême-droite qui attire aujourd’hui, en sus de son électorat traditionnel de 3 à 5
% de «
fachos
», antisémites et racistes indécrottables, tous ceux qui veulent «
voter le plus possible contre le système
».
En conclusion, un système économique inique, source d’injustice, de frustration et de paupérisation, a pour conséquence politique un comportement électoral désespéré, quasi-suicidaire ou mortifère, entraînant une proportion croissante du nouveau Tiers état à vouloir «
foutre en l’air le système
», y compris s’il le faut la République et ce qui reste de démocratie, croyant y trouver un exutoire à sa souffrance. Mais, du côté des cyniques qui nous gouvernent et des nouveaux aristocrates, tout est en place pour tirer les marrons du feu.
Lundi
© La Lettre du Lundi 2011
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