La grande semaine diplomatique, qui a conduit vendredi à la révélation par Obama-Brown-Sarkozy d’une nouvelle fabrique nucléaire iranienne, commence à pouvoir être reconstituée, à partir des éléments lâchés par les diplomates des trois pays. Elle pose de sérieuses questions, et pas seulement aux Iraniens. «Nous savions depuis plusieurs années» ont souligné vendredi Américains et Français, en révélant soudain l’existence du nouveau site clandestin iranien.
Des images satellite et des agents sur le terrain avaient repéré près de Qom la construction d’une usine d’enrichissement de l’uranium. L’information était déjà connue sous l’administration Bush, ont précisé les Américains. Obama avait été briefé durant la période transitoire, entre son élection en novembre 2008 et son inauguration en janvier 2009. Au printemps dernier, les Américains auraient réalisé que les Iraniens «savaient qu’ils savaient». Personne n’était sorti du bois pour autant.
Fin juillet, selon le New York Times, Obama avait demandé aux services américains, britanniques et français de se préparer à une présentation du site au moment de l’assemblée générale de l’ONU (la semaine dernière donc). Lundi, au début de la grande semaine de l’ONU, Téhéran a pris de vitesse le trio occidental en révélant elle-même, dans une lettre à l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) la construction d’une usine d’enrichissement «pilote».
Informés mardi soir par l’AIEA de la lettre iranienne, les conseillers de Barack Obama ont passé une nuit agitée, rapporte le New York Times, à l’hôtel Waldorf Astoria de New York, avant d’informer mercredi matin le président. Celui-ci a alors laissé s’écouler deux jours encore avant de faire vendredi matin avec Gordon Brown et Nicolas Sarkozy sa déclaration solennelle – impromptue et déplacée- au sommet du G20, censé s’occuper de coordination économique. Les Français plaidaient pour une réaction plus rapide, le jour du Conseil de sécurité de l’ONU consacré au désarmement nucléaire, le jeudi matin. Obama a préféré attendre encore un jour, le temps de «briefer» correctement toutes les parties concernées, surtout Russes et Chinois qu’il veut rallier à sa cause.
Mercredi, Obama a personnellement informé Dmitri Medvedev, obtenant à la sortie de l’entretien une déclaration du président russe plus musclée que d’ordinaire. Les Chinois ont été informés le même jour, par le conseiller de la Maison Blanche chargé de la Chine, Jeff Bader. Jeudi, Barack Obama a présidé une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur la non-prolifération nucléaire comme si de rien n’était. Le président ne voulait pas que l’Iran détourne l’attention de son initiative sur le désarmement, expliquent ses conseillers. «M. Obama a utilisé ce forum global cette semaine non pas pour rallier le monde afin de stopper les voyous nucléaires d’aujourd’hui, mais pour offrir de charmantes visions de désarmement dans un futur éloigné» s’indigne un édito du Wall Street Journal ce week-end. «Les Américains et leurs alliés rêvent», «Il est de plus en plus évident, et dangereux, que M. Obama n’était pas attentif» poursuit le WSJ.
L’Elysée n’a pas fourni non plus d’explication très convaincante à cet étrange calendrier. «Nous n’avons pas rendu l’information publique plus tôt car il fallait être très sûr. Le dossier devait être sérieux, établi, incontestable» souligne Paris, rappelant le précédent des «armes de destruction massives» imaginées par l’administration Bush en Irak. Serait-ce donc que le dossier des agences de renseignement était trop mince encore? «La lettre iranienne à l’AIEA ne change rien» soutiennent aussi les Français, soutenant que Téhéran aurait dû informer l’agence dès le début de la construction du site. Pourquoi alors cette annonce au G20? «Il fallait choisir le bon moment et le bon cadre pour faire l’annonce» répondent encore les diplomates français. Si l’information révélée vendredi était si grave, pourquoi n’avoir pas pu réunir le trio Obama-Brown-Sarkozy ailleurs qu’au G20?
Et pourquoi Obama continuait-il à tendre la main aux dirigeants iraniens, et même leur présenter ses vœux au Nouvel an persan, tout en sachant qu’ils poursuivaient ce programme clandestin? A force de questions, la sortie vendredi du trio Obama-Brown-Sarkozy, avec leurs mines des grands jours, commence à sentir le «coup de com’» mal maîtrisé. Surtout, les Iraniens ont maintenant beau jeu de dire qu’ils ont été les premiers à révéler lundi… ce que les services occidentaux savaient et gardaient caché depuis des années.
http://washington.blogs.liberation.fr/great_america/2009/09/intelligence-versus-iran.html