LUDWIG GUMPLOWICZ :
LE THÉORICIEN JUIF DE LA SOLUTION FINALE
Ludwig Gumplowicz fut un célèbre politologue et sociologue dans les planètes académiques de la fin du XIXème et du début du XXème siècle. Ce silence sur un académicien très connu de ses contemporains a de quoi intriguer tous ceux qui s’intéressent à l’histoire des disciplines universitaires et aux origines des sciences humaines. Aujourd4hui, les étudiants en sociologie, en droit et en sciences politiques citent volontiers Herbert Spencer, Auguste Comte, Max Weber ou Emile Durkheim mais ils ignorent tout de Ludwig Gumplowicz qui était connu en Europe et aux Etats-Unis grâce à ses ouvrages traduits en plusieurs langues. Les écrits de Gustave le Bon ou ceux de Gabriel Tarde nous sont familiers mais pas ceux de Ludwig Gumplowicz qui, pourtant, aurait dû figurer parmi les fondateurs de la science politique et de la sociologie. Ce silence, volontaire ou involontaire, sur un personnage académique de premier rang s’explique par la volonté des tenants actuels des sciences humaines de gommer autant que faire se peut les origines idéologiques de leurs disciplines qui, rappelons-le, furent l’oeuvre de théoriciens fortement imbibés de darwinisme social et de vision hiérarchique et classificatoire du monde de l’homme et de la nature. Pour s’en convaincre, il suffit de lire les grands noms de la littérature anthropologique, ethnologique, historique, sociologique et politique de la fin du XIX et du début du XXème siècle et que les concepts de race, de hiérarchie et de luttes entre les races n’étaient pas l’apanage de quelques oiseaux rares tels que Gobineau, Chamberlain, Vacher de la Lapouge, Haeckel ou encore Ludwig Gumplowicz. Sans exagréation on peut dire que toute l’intelligentsia européenne de cette fin du XIXe et du début du XXème siècle était raciste et ses membres étaient des racistes patentés et convaincus de la supériorité de la race blanche, plus précisément de la race européenne, sur les autres races non blanches et non européennes.
Issu d’une famille de juifs polonais, Ludwig Gumplowicz est né à Cracovie le 9 mars 1838 et mort à Graz le 19 août 1909 en se suicidant lui et sa femme après avoir été atteint d’un cancer. Après des études de droit à Vienne et à Cracovie, Gumplowicz entame en 1875 une carrière dans l’enseignement d’abord comme professeur de droit constitutionnel avant de devenir professeur de sciences politiques en 1893 à l’université de Graz. Ludwig Gumplowicz est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « sociologie et politique », « précis de sociologie » et surtout « la lutte des races » publié en 1883, un livre traduit en plusieurs langues dont le français en 1893. Les idées et les théories de Ludwig Gumplowicz influencent un certain nombre de ses contemporains comme Vacher de Lapouge, Ammon, le sociologue américain Lester Ward, l’économiste Vilfredo Pareto et le futur leader fasciste italien, Benito Mussolini.
Dans son célèbre livre, « lutte des races », traduit en français et publié en 1893 à Paris par la librairie Guillaumin, Gumplowicz élabore une nouvelle théorie de l’histoire de l’humanité fondée, non pas sur la lutte des classes comme chez les marxistes mais sur la lutte des races. Pour l’auteur de la « lutte ds races », ce sont les races qui forment le noyau de l’histoire universelle et les sociétés humaines sont composées de races qui sont en guerres perpétuelles et qui « dans la lutte qu’elles soutiennent les unes avec les autres, sont des propagatrices du processus de l’histoire » (Lutte des races, p. 192). Une race est définie à la fois par des facteurs physiques, l’unité du sang mais aussi par des facteurs culturels et intellectuels, la langue, la religion, la coutume, le droit, la civilisation etc. Les caractères des races se sont produits naturellement et historiquement, grâce au « procédé d’histoire naturelle »(luttes des races.p.255). Mais la race n’est pas le produit d’un simple processus naturel mais le produit du processus historique qui est lui-même un processus naturel.
Dans les guerres perpétuelles auxquelles se livrent les races, « l’élément ethnique ou social puissant cherche à faire servir à ses buts tout élément ethnique faible qui se trouve dans son rayon de puissance ou qui y pénètre »(Lutte des races, p. 159). La domination et l’exploitation de l’élément ethnique faible par l’élément ethnique puissant sont une nécessité impérieuse imposée par une loi naturelle inflexible qui confère à une bande d’hommes suffisamment de forces et de pouvoir pour écraser les autres races et pour assujettir les autres bandes, hordes et tribus qui lui sont étrangères par le sang. La guerre et la lutte entre les races n’ont d’autre objectif que la domination et l’exploitation car « le but de toutes les guerres est toujours le même, quelles que soient les formes différentes sous lesquelles ce but est visé et atteint : c’est de se servir de l’ennemi comme d’un moyen de satisfaire ses propres besoins ». (luttes de races.p.175). L’exploitation et la domination des races inférieures par les races supérieures sont commandées non pas par la volonté de quelques individus mais par la nature humaine. L’élément ethnique supérieur se sert de la guerre comme moyen pour assujettir l’élément ethnique inférieur. Tout compte fait, la domination qui est le but ultime de toute guerre n’est pas autre chose qu’une division de travail imposée par la race dominante qui cherche à faire travailler et à exploiter les races inférieures en vue de perpétuer sa supériorité. La guerre elle-même est la manifestation de ces forces et tendances qui règnent au sein des sociétés humaines. La guerre est une nécessité pour les races que l’est, dans les tous les autres processus naturels, la perpétuité d’action des diverses forces de la nature. Pour appuyer sa thèse de la lutte des races, Gumplowicz évoque l’histoire et le présent qui offrent l’image de guerres ininterrompues et perpétuelles entre les tribus, les peuples, les Etats et les nations.
Après avoir annoncé une première loi naturelle, celle de la légitimité et de la nécessité de la domination et de l’exploitation des races inférieures par les races supérieures, Gumplowicz annonce une deuxième loi naturelle, celle du syngénisme. Le terme grec syngenea, qui signifie parenté, parentèle, désigne un ensemble de facteurs unissant les membres d’une même race. Pour Gumplowicz, la nature a engendré sagement et prudemment non pas les sentiments « humains » mais les sentiments syngéniques qui sont à l’origine de la formation des bandes, des tribus, des États et des nations. Ce sont les sentiments syngéniques que font que certains groupes d’hommes qui, se sentant reliés entre eux, « cherchent à agir comme un seul facteur dans la lutte pour la domination » (Lutte des races. pp 241-242). À l’origine de la formation du sentiment syngénique, il y a la consanguinité mais aussi l’éducation, la langue, la religion, la coutume, le droit, les manière de vivre. Grâce au sentiment syngénique, de cercles consanguins et de groupes d’hommes se forment et se maintiennent dans le temps et dans l’espace avec « une conscience d’une origine commune ou qui croient à une origine commune » (p. ibid). Le sentiment syngénique dépasse largement en intensité les sentiments sociaux et les sentiments humains, car leur mode de formation s’appuie à la fois sur un substratum physique qui est la ressemblance physique et la consanguinité et sur la ressemblance intellectuelle des membres d’un même groupe. C’est l’existence de ce sentiment syngénique qui fait que les membres d’un État se sentent solidaires entre eux et qu’ils cherchent « à se donner comme particulièrement nobles, particulièrement distingués, comme des peuples élus parmi les autres peuples » (luttes des races.p.244). Le syngénisme est en définitive un sentiment qu’éprouvent les individus qui « se trouvent plus étroitement rattachés à un groupe d’hommes qu’à d’autres groupes d’hommes »(luttes des races.p.242). c’est aussi le syngénisme qui maintient la cohésion des races, qui les organise en divers corps d’armée et qui les dispose sans cesse en ordre de bataille.
Mais plus les sentiments syngéniques sont forts et affirmés dans un groupe, plus sa cohésion est grande et plus grande devient sa haine de l’étranger et de tout ce qui est étranger. Cette haine de l’étranger, produit naturel des sentiments syngéniques, se révèle comme une nécessité naturelle qui pousse certains groupes à exterminer les groupes étrangers à la première occasion.(p.247). Gumplowicz prend l’exemple des Boers chrétiens en Afrique du sud, les Boschimans et les Hottentots qui cherchent à s’exterminer mutuellement, car ils sont étrangers les uns aux autres du fait qu’ils n’ont de commun entre eux aucun des circonstances syngéniques. Les luttes permanentes entre les races s’alimentent sans cesse de la division de l’humanité en cercles syngéniques antagonistes. c’est le sentiment de la supériorité d’une race sur les autres races qui a donné naissance à l’histoire née « de ce besoin subjectif des hommes de glorifier ce qui leur propre et ce qui les entoure de plus près, en abaissant et en dénigrant ce qui leur étranger et ce qui est éloigné d’eux »(lutte des races.p.250). Ce sont la haine perpétuelle, l’antagonisme et l’antipathie entre les races qui empêchent la fusion entre les races et en dernier lieu la formation d’une humanité unifiée (p.256). Ce qui entrave l’amalgamation des races, c’est l’aversion de chaque race pour tout mélange sanguin avec les autres races et l’horreur de chaque membre de la communauté sanguine du mélange avec le sang étranger.(p.256). Outre le sang, il y a la langue qui est le « sang intellectuel, son être intellectuel » (Ibid) et la religion, ce puissant ciment des races en lutte les unes contre les autres. Ce sont les dispositions et les sentiments les plus naturels imposés par la nature qui constituent ce que Gumplowicz appelle la haine de race(Luttes des races.p.257) et qui poussent les membres de chaque race à mépriser la religion, la langue, les coutumes, les mœurs d’autres races et surtout à ne pas se mélanger pour garder la pureté du sang. Gumplowicz identifie d’ailleurs patriotisme et la pureté du sang.
Mais il arrive un moment où la perpétuelle lutte des races se transforme en lutte pacifique et juridique dans l’organisation du pouvoir, à l’intérieur de l’Etat. Pour le besoin de l’industrie et du commerce, l’élément ethnique dominant impose sa langue qui devient la langue dominante, laquelle langue dominante imposera à son tour sa domination sur les mœurs, les coutumes et les conceptions religieuses organiquement solidaires avec elle. Dès qu’un groupe commence à parler la même langue, à avoir une même religion, les mêmes mœurs et les mêmes coutumes et les mêmes manières de vivre, on assiste à une circulation du sang entre les mêmes membres d’une communauté et « dès que la nouvelle race possède cette structure, une lutte s’engage nécessairement et inévitablement avec toute autre race au contact de laquelle la nouvelle vient à se trouver ; et dans cette lutte se déplace la fureur qui jadis faisait rage entre les éléments unifiés aujourd’hui »(Lutte des races.pp 259-260). La race qui vient triompher est poussée par ses penchants naturels à chercher des lieux où réside d’autres races étrangères « afin d’entrer derechef en contact avec elle et de recommencer la lutte qui menaçait de s’arrêter »(Lutte des races, p.260). Cette volonté de dominer et d’exploiter les races inférieures par les races supérieures définit la loi du mouvement qui « est l’âme proprement dite de l’histoire, car elle produit, par une circulation toujours nouvelle, la lutte des races, l’unité de langue, la communauté de civilisation et elle ne cesse de propager de plus en plus loin les éléments capables de vivre, en refoulant du sol ceux qui en sont incapables »(Lutte des races.p.260). Pour Gumplowicz, la perpétuelle lutte des races est la tendance naturelle du mouvement de l’histoire et elle définit la loi même de l’histoire « tandis que « la paix perpétuelle » « n’est que le rêve des idéalistes »(Lutte des races.p.261).
Comme on vient de le voir, Gumplowicz explique tout par le facteur ethnique et par les races : les classes sociales et les castes professionnelles. L’exploitation d’un groupe ethnique par un autre est justifiée par la nécessité de la lutte des races entre elles même si le syngénisme n’est nullement réductible au seul facteur biologique. C’est cette vision racialiste que Ludwig Gumplowixz ensiegne à plusieurs générations d’étudiants pendant plus de vingt ans en tant que professeur de sciences politique à l’université de Graz. Cela donnera une idée de la formation qu’on pu recevoir les politiciens européens et américains du début du XXème siècle. Par conséquent, il y tout lieu de penser que les théoriciens du nazisme ont subi de plein fouet les idées racialistes professées par Ludwig Gumplowicz. Contrairement à l’historiographie politique actuelle fabriquée après la seconde Guerre mondiale, ce ne sont ni Gobineau ni Houston Stewart Chamberlain qui sont les inspirateurs du racisme nazi. Ce qui nous fait dire que ce n’est pas Gobineau mais Gumplowicz qui a été le principal inspirateur du racialisme nazi, c’est que Gobineau a certes affirmé la supériorité de la race aryenne mais il n’a jamais appelé à l’exploitation et à la domination des races inférieures par des race supérieures. Gobineau a sans doute une vision hiérarchique des races mais son racisme s’apparente à un paternalisme tel que celui des castes indiennes. D’autre part, Gobineau qui n’a pas l’envergure intellectuelle d’un Gumplowicz est plus un littérateur flamboyant qu’un théoricien rigoureux. Gobineau devient célèbre après l’arrivée des nazis au pouvoir en Allemagne et non pas avant, ce qui exclut toute ascendance intellectuelle du Comte sur les idéologues du nazisme. D’ailleurs, ces derniers n’ont pas attendu le Comte de Gobineau pour élaborer leurs thèses racialistes ; ils n’ont fait au fond que piocher dans l’abondante littérature anthropologique, philosophique, sociologique, ethnologique, et historique de leur temps qui faisait la part belle aux idées et aux théories racistes. L’idée selon laquelle Gobineau est l’inspirateur du racisme nazi est l’œuvre d’une historiographie européenne qui a été trafiquée après la fin de la Seconde Guerre mondiale pour faciliter l’intégration de l’Allemagne dans le camp occidental. Depuis 1945, l’histoire européenne a été sciemment retravaillée et réécrite pour créer une association d’idées entre nazisme et racisme alors que l’intelligentsia européenne de la fin du XIX et du début du XX siècle était profondément raciste et imbibée de darwinisme social et de racialisme. On a vainement cherché à cacher la forêt par l’arbre en prenant comme bouc émissaire le Comte de Gobineau comme l’inspirateur des conceptions racistes des nazis alors que cet écrivain et littérateur fait figure de piètre théoricien du racisme à côté d’un Ludwig Gumplowicuz qui, comme nous l’avons vu, professe la haine de l’étranger et justifie, par des renvois historiques, les guerres entre les races, la domination et l’extermination des races inférieures par les races supérieures. Il est difficile de dire si Hitler avait entendu parler de Ludwig Gumplowicz mais ce qui est sûr ce que le Führer avait pour modèle et admirateur, Georg von Schönerer(1842-1921) qui était l’exact contemporain de l’auteur de la « Lutte des races ». En tout cas, même si Hitler ignorait l’existence ou les idées de Ludwig Gumplowicz, les grands théoriciens nazis comme Carl Schmidt, Friedrich List, Richard Wagner, le beau père de H.S. Chamberlain, connaissaient sans doute et avaient entendu parler de Ludwig Gumplowicz. Les lois de Nuremberg du 15 septembre 1935 promulguées dans le but de maintenir la pureté du sang allemand en interdisant le mariage entre juifs et citoyens allemands ne sont pas une invention du régime nazi mais leurs instigateurs ont sûrement été inspirées par les idées du théoricien juif Ludwig Gumplowicz qui croyait dur comme fer l’existence de races supérieures habilitées et guidées par les lois de l’histoire pour dominer et exterminer les races inférieures. Ludwig Gumplowitz n’avait sans doute pas prévu les conséquences de ses idées mais il a certainement contribué à forger les armes théoriques des idéologues nazis pour procéder à l’extermination des races inférieures, les Tziganes et les Juifs.
FAOUZI ELMIR
Mots-clés : Ludwig Gumplowicz, darwinisme social, guerre raciale, lutte des races.