« Révolution safran » |
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La presse atlantiste se passionne pour la révolution safran qui agite le Myanmar. Chacun espère —et nous aussi bien sûr— que la junte militaire qui écrase les Birmans depuis des décennies sera enfin renversée et laissera la place à une démocratie prospère. Cependant ce soudain intérêt de nos « confrères » pour ce pays qu’ils ignoraient jusque-là, de même que l’expérience des pseudo-« révolutions colorées » et de leurs réveils douloureux de la Géorgie au Liban devraient aiguiser notre sens critique. Ce que l’on nous montre à voir et à interpréter est-il fidèle à la réalité ? À l’évidence, si pour les Birmans, l’enjeu est leur liberté, pour les « Occidentaux », il est tout autre. La presse ne cesse de nous répéter que la junte est soutenue économiquement et militairement par la Chine, et dans une moindre mesure par la Russie, les deux puissances qui ont fait obstacle en janvier dernier à une condamnation du Myanmar par le Conseil de sécurité de l’ONU et à la mise en place de sanctions économiques [1]. Notons au passage que si les États asiatiques, dans leur ensemble, condamnent comme barbare le principe des sanctions économiques, la presse occidentale ne se pose pas la question de la légitimité de cette forme moderne du siège antique. Pourtant, l’idée d’affamer ses adversaires a été critiquée par les principaux philosphes européens durant des siècles et condamnée par l’Église catholique depuis Thomas d’Aquin. Emportée par l’idéologie néo-conservatrice de « l’ingérence démocratique », les journalistes européens sont-ils revenus aux temps barbares ? La « révolution safran » n’a pas débuté pour renverser la dictature, mais en réaction au doublement des prix des carburants et à des violences faites à des moines bouddhistes, lesquels sont partisans d’une théocratie. Son objectif n’est pas d’instaurer la démocratie, au sens athénien du terme. Toutefois, par derrière, le mouvement a été préparé et est soutenu par Washington, qui entend imposer la « démocratie de marché », c’est-à-dire ouvrir le pays aux investissements de ses propres multinationales. Il est donc bien normal que la presse atlantiste exige d’abord le retrait des investisseurs rivaux, quelles qu’en soient les conséquences pour le niveau de vie des Birmans. Depuis deux ans, une opposition politique structurée, à caractère réellement démocratique, s’est constituée sous le nom de « Génération 88 », à la fois par référence à la « Génération 386 » de Corée du Sud et au fait que ses membres ont été actifs lors de la révolte de 1988. Les principales personnalités de ce mouvement forcent l’admiration par leur courage et leur détermination, mais comment ne pas voir que « Génération 88 » est devenu un paravent de l’action clandestine de Washington ? Le groupe a reçu en deux ans plus de 2,5 millions de dollars de la National Endowment for Democracy (NED) [2], c’est-à-dire du département d’État des États-Unis, sans parler des subventions du spéculateur George Soros [3]et celles du gouvernement norvégien. Quoi qu’il en soit, le mouvement politique que les communicants de la Maison-Blanche ont déjà appelé la « révolution safran », par référence à la couleur des robes des moines bouddhistes, n’est pas sans rappeler les autres « révolution colorées » organisées par l’Albert Einstein Institution [4]. Un pseudopode de la CIA et de l’OTAN dont le directeur, le colonel Robert Helvey, est précisément l’ancien attaché militaire de l’ambassade des États-Unis à Rangoun. Revenons-en au bras de fer qui oppose la Chine et les États-Unis dans cette région et qui constitue l’enjeu véritable du traitement médiatique actuel et des conséquences possibles de cette révolution. Contrairement à ce qu’affirme la propagande atlantique, la Chine n’a aucun intérêt à soutenir la dictature birmane, mais veille à préserver ses intérêts stratégiques en Birmanie, ce qui n’est pas du tout pareil. Pékin est très gêné par un conflit qui peut toujours faire tache d’huile. Sa diplomatie s’efforce de débloquer la situation et offrant une porte de sortie aux généraux birmans. Lors de la séance du Conseil de sécurité de janvier dernier sur le Myanmar, Pékin a demandé que le secrétaire général de l’ONU nomme un envoyé spécial permanent sur cette question et s’est proposé pour faciliter son travail. Et là, ce sont les États-Unis qui ont fait blocage en affirmant que cet envoyé ne servirait à rien s’il n’était pas appuyé par des sanctions économiques. Sous nos yeux, un peuple lutte pour sa liberté. Mais le soutien que lui apportent les États-Unis et les médias atlantistes n’a aucunement pour but d’y parvenir. Washington veut couper le pipe-line chinois, démanteler les bases militaires de surveillance électronique pour prendre le contrôle des voies maritimes, et ouvrir le marché à ses multinationales. Il ne suffira pas aux Birmans de renverser les généraux pour être libres.
[1] « Le Conseil de sécurité rejette le projet de résolution sur le Myanmar à la suite d’un double vote négatif de la Chine et de la Fédération de Russie », ONU, référence CS/8939, 12 janvier 2007. [2] « La NED, nébuleuse de l’ingérence démocratique », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 22 janvier 2004. [3] « George Soros, spéculateur et philanthrope », Réseau Voltaire, 15 janvier 2004. [4] « L’Albert Einstein Institution : la non-violence version CIA », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 4 juin 2007. Nota : on trouvera sur le site internet de cette organisation une lettre ouverte à Thierry Meyssan pour démentir en bloc le contenu de cet article. [5] « Le gendarme du monde veut contrôler les océans » Réseau Voltaire, 4 décembre 2003. [6] « L’OTAN et le réseau plus vaste d’alliances militaires sous l’égide des Etats-Unis », par Mahdi Darius Nazemroaya, Horizons et débats, 9 juillet 2007. |
http://www.voltairenet.org/article151836.html