Par C.S.P
On n'arrête pas de dire et de penser tout le mal possible d'infects torchons comme le Figaro ou Marianne - ce canard de merde - , mais il faudra peut-être bien finir par se pencher plus attentivement sur le cas de Rue89. Qui, sous-couvert d'un anti-sarkozysme bon teint, ouvre régulièrement ses colonnes virtuelles à de pompeux cornichons soi-disant "de gôche", qui en profitent pour allègrement cracher sur tout ce qui ressemble de près ou de loin à des progressistes, tout en célébrant Le Joli Marché Qui Rend Heureux avec l'enthousiasme le plus niais. La rédaction pourra toujours se défausser en prétendant que ce ne sont là que tribunes et que ce ne sont pas des "journalistes" en tant que tel, il n'empêche : le choix de placer les dites opinions en page d'accueil finit par faire penser qu'à force, tout ça ne doit peut-être bien rien au hasard.
(Et quand on voit que dans la colonne "blogs qu'on aime" se retouvent côte à côte l'imbécile Hugues Serraf et le demi-cerveau Criticus, on commence à se demander si la "liberté d'expression" façon Rue89 ne s'arrête pas là où commence l'amour du libéralisme...).
Ainsi, cet article ridicule d'un certain Michel Faure.
Lequel, reprenant sans nuance ni recul - et du coup les faisant complaisamment siens - les propos d' Alvaro Vargas Llosa, dont la fiche Wikipédia nous apprend, ô surprise :
"He is a proponent of free-market economics and democracy under the rule of law, calling for more open trade between Latin America and the United States."
Mais attention, hein, c'est de gauche, ça. La gauche de Manuel Valls ou de Pascal Lamy, autrement dit : celle qui trahit et se plie à tous les caprices de la droite. La gauche à qui on crache à la gueule, en somme. Et celle que Michel Faure doit tellement préferer à cette méchante gauche latina qui a l'éffronté toupet de vouloir encore rester...à gauche. Elle. Et donc, cet Alvaro Vargas Llosa, là, de pontifier :
"Il qualifiait la première gauche, celle, notamment, de Lula au Brésil ou de Michelle Bachelet au Chili de « végétarienne » et la seconde, celle de Chavez au Venezuela ou de Morales en Bolivie, de gauche « carnivore ». Selon lui, la gauche végétarienne est de nature réformiste et proche de la social-démocratie européenne. La gauche carnivore, quant à elle, est plus radicale et révolutionnaire."
Déjà, on tique, puisqu'on sait tout le mal qu'il faut penser des végétariens. Et la défiance de se confirmer à la lecture de la suite, qui est aussi ébouriffante de profondeur et de pertinence qu'un vidéo de BHL sur Dailymotion. Oui, à ce point.
"Il faudra bien qu'un jour la gauche végétarienne arrête de prétendre être l'amie de la gauche carnivore, disait Vargas Llosa, car l'une et l'autre sont sur des trajectoires totalement divergentes et le moment viendra où il faudra bien trancher sur ce que doit être l'avenir de cette famille politique en Amérique latine : démocratique ou bien révolutionnaire.
Le moment est peut-être venu pour Lula et Bachelet de rappeler que l'avenir de la gauche latino-américaine s'inscrit dans le cadre de la démocratie.
Il n'est ni dans la révérence d'un Hugo Chavez pour un « modèle » cubain -un goulag tropical et un désastre économique- ni dans son adaptation « bolivarienne » qui vire de plus en plus vite au socialisme d'inspiration soviétique où toutes les activités humaines entrent les unes après les autres sous la coupe de l'Etat.
Il n'est pas non plus dans le conservatisme et l'utopie raciale de l'indigénisme d'un Evo Morales, ni dans le clientélisme populiste et les solidarités claniques d'un Daniel Ortega au Nicaragua."
Et là, est-il vraiment utile de continuer ? Puisque désormais, on sait exactement à quoi s'en tenir, et que c'est invariablement la même chose. D'un côté la Gentille Gôche qui fait des bisous et accepte le Marché ; de l'autre la Méchante Gôche qui refuse le Marché et dont est très très vilaine. Tant d'intelligence dans le propos éblouit, c'est simple, on dirait du Bertrand Delanöé. Et Michel Faure, toujours citant Alvaro Vargas Llosa mais il semble bien qu'ici les deux opinions se confondent, de caqueter :
"L'avenir de la gauche dans une Amérique latine intégrée et ouverte au reste du monde, c'est la démocratie sociale, c'est à dire le marché encadré par des règles et une fiscalité socialement protectrices, le respect des droits humains et des libertés, la valorisation du travail et de l'initiative, et le caractère universel de l'accès aux soins et à l'éducation."
C'est beau comme du Guaino dans le texte.
Mais ce n'est pas fini, Michel Faure décidant plus loin d'abdiquer toute rationnalité et autres fariboles argumentées pour s'ébrouer enfin dans l'hystérie antichaviste, perpétuelle tarte à la crème des petits roquets libéraux de son espèce :
"Rappelons qu'en une année, Chavez a nationalisé 12 000 entreprises privées du secteur pétrolier en vertu d'une loi réservant à l'Etat l'exploitation des hydrocarbures. Il a également nationalisé les entreprises du secteur électrique, des télécommunications, de la métallurgie, l'industrie du ciment, des entreprises agro-industrielles et des terres agricoles."
Et ça, c'est très mal. Très très mal. Bon, Michel Faure omet juste de préciser qu'avant Chavez, le pétrole ne servait que les intérêts exclusifs d'une caste dirigeante particulièrement corrompue, et que depuis les nationalisations, l'argent du pétrole sert par exemple à financer des programmes d'alphabétisation. Mais c'est fait en s'attaquant à la Propiététe Privée. Et ça, pour un Micel Faure, c'est un crime, que dis-je : LE Crime. Et de terminer en se roulant par terre d'angoisse :
"que dire de Chavez, qui avance masqué derrière son discours bolivarien pour transformer le Venezuela en un vaste kolkhoze posé sur des champs de pétrole ?"
Le Tyran Rouge qui mange des nenfants qui n'est rien que l'adepte du Totalitarisme Bolchévique blablabla, les conneries habituelles. C'est vrai que c'était tellement, mais tellement mieux, quand tout était privatisé et que la population vivait des des bidonviles sans eau courante, hein Michel Faure ? C'est vrai que c'était telllement plus enthousiasmant, quand était respectée la sacro-sainte "propriété privée" mais que le reste de la population était enfoncée dans la misère crasse...
Mais attention : Michel Faure n'est nullement un "idéologue". Il ne fait pas, mais alors pas du tout de "l'idéologie", comme il tente de s'en défendre dans un commentaire qui mérite d'être cité tellement il éclaire le personnage :
"le dernier espace de liberté des hommes, la propriété privée, dont on sait bien aujourd'hui qu'elle est un élément fondamental de la liberté, est aujourd'hui menacée. Pour moi, et là encore c'est une opinion que je défends avec franchise et sincérité, la liberté est un élément essentiel du bonheur et de l'harmonie sociale. Si vous n'aimez pas la liberté, j'en suis désolé pour vous."
Oui, vous avez bel et bien lu : "le dernier espace de liberté des hommes, la propriété privée, dont on sait bien aujourd'hui qu'elle est un élément fondamental de la liberté".
Mais Michel Faure ne fait pas du tout de l'idéologie, n'est-ce pas ?
Il se contente juste d'avoir la cervelle tellement bouffée par le néolibéralime qu'il peut bêler sans honte ni retenue le catéchisme des petits clercs dans son genre, tout en se prétendant "de gôche" par caution morale.
Et oui, vous aussi, vous préférez encore un bon gros libéral de droite bien puant et décomplexé, à la fin, plutôt que ce genre d'hypocrite tortilleur prêt à plier servilement l'échine devant toutes les idées plus frelatées, celles qui ont bouffé la gauche depuis à présent des décennies. Qui n'aime la gauche que soumise et impuissante et l'enjoint à gentiment bouffer de la salade cuite.
Ceci dit, j'aime beaucoup l'expression "gauche carnivore". L'image que ça m'évoque est exactement l'idée que je me fais d'une gauche digne de ce nom :
Carnivore.