Soir après soir, nous sommes assis durant de longues heures face à une lumière scintillante. Les mêmes images pénètrent nos cerveaux, uniformisent nos existences, nos connaissances, nos goûts, nos désirs. Nous passons plus d'heures à regarder des émissions sur la nature qu'à la vivre dans sa réalité ; plus de temps à rire des plaisanteries à la télévision qu'à plaisanter nous-mêmes ; plus de temps à regarder des scènes simulées de sexualité qu'à faire l'amour.
Voici vingt ans, le mouvement écologiste alerta le monde en lui faisant comprendre que notre mode de développement menaçait la nature et par là même notre propre survie. Aujourd'hui, notre environnement intellectuel doit faire face à une forme différente d'agression...
Notre psychique est submergé par les assauts de milliers d'images jouant avec notre sensibilité, notre affect. Des millions de spots publicitaires conditionnent notre inconscient collectif et façonnent l'idéologie dominante de la télévision. Une idéologie où la jouissance immédiate par la consommation prime sur toute volonté de sens. A force de répétition, notre capacité d'attention se trouve diminuée, notre imagination et notre esprit critique s'épuisent, et nous avons de plus de plus de mal à nous consacrer aux valeurs essentielles.
"Une semaine sans télévision" est une tentative collective pour sauvegarder notre plus précieuse ressource : la lucidité.
Je n'ai qu'une vie. Je ne la regarderai pas passer, par procuration, comme un zombie, devant un poste de télévision. Je veux me sentir exister, furieusement. Je veux ressentir le bonheur, la tristesse, intensément. Je veux percevoir le chaud et le froid, les parfums et la sueur, les rires et la fatigue, sans écran. L'assommoir télévisuel, cette camisole à mon énergie, cet étouffoir à sentiments, ne m'anéantira pas. Je veux tout, je n'attends rien, le monde s'offre à moi.
La moyenne quotidienne de télévision par français est actuellement est de 3 heures 40. Après une journée de travail et plus de trois heures devant le poste, le temps consacré à la vie sociale, civique, à la création.. ne peut-être que marginal, sinon inexistant. La critique de la télévision ne peut donc se limiter à son contenu et doit le dépasser pour s'interroger sur le média en tant que tel. La télévision constitue un miroir pour notre société. Le briser ou le condamner ne changerait pas le visage de notre civilisation. "Changeons et la télé changera". Eteignons-la et la vie commencera.
Mais vivre, c'est difficile. Il est tentant de chercher à échapper à la condition humaine. Cocaïne, héroïne et haschisch demeurent des moyens prohibés pour atteindre des paradis artificiels. Prozac, alcool et télévision permettent, eux, de fuir la réalité sans enfreindre la loi.
Si nous devions classer comme drogue un produit synthétique inhalé entraînant une dépendance, la télévision ne rentrerait pas dans cette catégorie. Pourtant, sans apparente action chimique, la télévision conduit à des phénomènes d'assujettissement comparable à ceux de drogues dures. Voici plus de dix ans, une équipe de l'hebdomadaire Télérama proposait dans un quartier à des volontaires de rendre leur poste pendant une semaine. Seule une minorité de candidats parvinrent au bout des sept jours sans avoir récupéré leur précieuse boite. Certains ne tinrent pas une journée. D'autres, honteux, louèrent des postes en cachette.
La télévision a ceci de particulier par rapport aux autres média qu'elle laisse son spectateur totalement passif. A aucun autre moment de notre existence nous ne sommes aussi inerte, même dans notre sommeil, car les rêves y sont le produit de notre imagination. Contrairement au cinéma, où la lumière est projetée sur une toile, le poste de télévision la projette directement sur le spectateur. Le scintillement de l'image engendre un phénomène hypnotique.
Nous regardons la télévision. Nous l'écoutons peu. L'image y est reine et la forme prime sur tout. Le pouvoir y appartient aux apparences. Ne pas être conscient de cette règle de base peut conduire à desservir son propos pour celui qui est amené à y figurer. A la télévision, on est manipulé ou on manipule.
La télévision est un prisme. Elle nous évite de réfléchir, de nous poser des questions existentielles. Elle nous évite de les accepter et de les affronter. A force de fuir dans l'illusion au travers de cette glace, nous devenons incapables d'affronter la réalité se trouvant derrière la fenêtre. C'est au final un véritable refus de la vie.
Une semaine sans télé, c'est un temps pour créer, construire, apprendre, lire, réfléchir, se rencontrer.. et retrouver le goût et le parfum de la VIE.