17.06.2009
Que seraient les blogs sans les pseudos ? Des blogs, encore, mais plus vraiment les mêmes. Aussi « attention aux abus » nous rappelle une décision de la Haute Cour de justice britannique rendue hier à propos d'un célèbre flic blogueur d'Outre-Manche.
L'histoire est simple. Un inspecteur de police britannique a, en février 2008, ouvert un blog qui, comme tout blog digne de ce nom, est à implication personnelle maximale. Le blogueur ? Jack Night. Jack Night, c'est la tenue de camouflage de ce policier, qui écrit en tant que policier, à propos des affaires de famille de la police et sur les affaires pour lesquelles elle enquête. Et, parce que c'est ça un blog, le flic ne parle pas que des affaires de flics : de la vie, de la société, de la politique.
« J'ai voulu écrire sur là où nous ont mené vingt ans de réformes de la police parce que je pense que les changements ne sont pas toujours bons », avait déclaré notre inspecteur à The Independent. Un ton et des sujets traités qui ont percuté, avec grosse audience à la clé. Ce mois de mai 2009, Jack Night a reçu le prix Orwell qui récompense les meilleurs auteurs et journalistes politiques. Juste après avoir arrêté le blog, ce mois d'avril.
Il faut dire que l'inspecteur de police publiait des textes tout de même assez proches des affaires réelles, racontait l'ambiance maison avec un véracité très crue, et donnait parfois quelques petits conseils pas méchants pour mieux jouer à cache-cache avec les pandores. Surtout The Times raconte que certaines infos publiées ont pu influer sur le sort d'affaires en cours. De quoi titiller son administration, qui lui a aurait collé un blâme disciplinaire, et The Times, qui est parti à sa trace, a déniché l'inspecteur blogueur, et s'apprête à publier son identité.
A la parade, son avocat, Hugh Tomlinson, a saisi la Haute Cour de justice britannique pour imposer le respect de l'anonymat.
Et bien pas d'accord, répond le juge Eady : « Bloguer est une activité publique et non privée. » (Blogging is essentially a public rather than a private activity). Aussi, l'intérêt du public de connaître ses sources d'information prévaut face au respect de la vie privée d'un blogueur anonyme. En ajoutant : « Il est dans l'intérêt du public de savoir comment certains officiers de police se comportent et les lecteurs des journaux pourront tirer leurs propres conclusions quant à l'activité de cet officier ».
The Press Association publie des extraits du jugement. Il faut être prudent dans l'analyse, mais le raisonnement du juge, qui se construit en deux temps, me semble tout-à-fait transposable.
- Un blog, aussi personnel soit-il, est une activité de communication publique, et relève, s'agissant du contenu, du régime général de la presse. Ce qui signifie aussi que le blogueur, quand il est tenu par une déontologie, s'exprime dans les limites de ce cadre professionnel.
- Il est certainement possible de communiquer sous un pseudonyme. Mais c'est à la justice, saisie d'une demande particulière, d'apprécier au vu des intérêts en cause, jusqu'où elle peut aller, et notamment lever l'anonymat qu'avait choisi le blogueur.
Tentons de reprendre pour le flic blogueur. Il est libre d'ouvrir un blog, anonyme ou pas. Mais, en droit français, il doit, en tant qu'agent public, concilier la liberté d'expression et le devoir de réserve auquel il est tenu. Aussi, la révélation, même floutée, d'infos dont il a eu connaissance dans le cadre professionnel, marque la limite et autorise le juge, à revenir de manière proportionnée sur cet anonymat, qui est une facilité mais pas un sanctuaire. Un équilibre pas évident, et les blogs ont fait bouger les lignes, car rien de ne sert d'ouvrir un blog si c'est pour distiller de l'eau tiède.
Source : publié sur actualités du droit par Giles Devers