C’est dans Annie Hall, de Woody Allen : deux vieilles dames discutent dans un restaurant. L’une dit : « La nourriture est infecte, ici ». Et l’autre : « Oui et les portions sont trop petites ».
Les médias les plus populaires en Guadeloupe, tels Radio Caraïbes international (RCI) et la chaîne de télévision Canal 10, sont sous haute surveillance depuis le début de la crise, le 20 janvier. "On ne peut pas mettre notre blé dans une radio où un mec nous flingue tous les jours à une heure de grande écoute", dit ce patron, sous couvert d'anonymat. Ulcéré par les éditoriaux de Thierry Fundéré, rédacteur en chef de RCI, jugé trop favorable au mouvement social, il ne fait que refléter l'opinion de ses pairs sur l'île. RCI est écoutée par près d'un Guadeloupéen sur deux.(...)
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L'article :
POINTE-À-PITRE ENVOYÉE SPÉCIALE
Presse. Outre les journaux de la métropole, France Antilles est le quotidien local fondé par Robert Hersant en 1965. Il tire à 25 000 exemplaires en semaine, 50 000 exemplaires le week-end.
Radio. Elles sont nombreuses à émettre en créole dont Canal 10. Créée en 1985, celle-ci est diffusée sur le câble et le satellite.
Télévision. Réseau France Outre-Mer (RFO) est une chaîne du groupe France Télévisions qui retransmet les programmes du groupe ainsi que ceux d'Arte.
Des chefs d'entreprise influents ont donc demandé la tête du rebelle et ont menacé de supprimer leurs budgets de publicité. Le 12 février, la rédaction s'est mise en grève partielle en signe de protestation. Franck Férandier-Sicard, le directeur de la station, assure qu'il n'a "jamais été question de licencier M. Fundéré", et promet qu'il n'a "aucune preuve établie de suppression de campagne publicitaire" pour raisons éditoriales. Il admet cependant avoir eu "des conversations" avec des chefs d'entreprise sur la couverture de la radio qui faisait "une large place aux manifestations".
Réinterrogé le 19 février, le directeur de la station avoue que la publicité se monte à "dix balles par ci par là, rien, insignifiant - il forme un zéro avec le pouce et l'index - alors qu'on travaille comme des fous." Il jure que la grève est la seule responsable.
L'audience de RCI s'est construite après le cyclone Hugo en 1989. Seule à émettre pendant un mois, elle a assuré le lien social. "On a gardé ce lien indéfectible et le peuple nous le rend", dit Thierry Fundéré, 36 ans. Le matin, "Tonton Michel" recueille les annonces des auditeurs : "Je cherche des ménages, et garder des enfants", "la personne qui a appelé hier pour les poules peut-elle me rappeler ?", "Je vends un moteur de bateau tout neuf", "Roselyne, à Gosier, n'a plus de lait pour ses enfants", etc. Le soir, place à la politique, sans exclusive d'opinion. Les interventions sont souvent enflammées. Quant à la radio - elle compte 39 salariés -, elle n'est adossée à aucun grand groupe.
Mercredi 18 février 2009, un reporter de la chaîne de télévision RFO interviewe la veuve de Jacques Bino, le syndicaliste tué par balle la nuit précédente.
CASSETTE SAISIE
La télévision Canal 10 émet, elle, "24 heures sur 24 depuis 24 ans, sauf pendant les cyclones", dit son fondateur, Michel Rodriguez. "On n'achète rien. On produit tout. En hertzien, sur le câble, sur le satellite, sur Internet et sur 3G", ajoute-t-il. Un réseau d'informateurs bien rodé, des reportages, des plateaux parfois improvisés : Canal 10 est un happening permanent. Le jour où Elie Domota, porte-parole du LKP, le Collectif contre la "pwofitasyon", a annoncé à l'antenne que "si l'on touchait à un seul cheveu d'un membre du LKP il y aurait des morts", les gendarmes ont rappliqué dare-dare.
Ils ont saisi la cassette et demandé à Michel Rodriguez et Yvelise Boisset, la journaliste qui avait interrogé le leader syndical, de les suivre au poste. Ils ont interrogé cette dernière pendant deux heures. "Comme l'émission était globalement en créole, ils ont fait appel à des interprètes", raconte Mme Boisset. "Ils voulaient savoir ce que je pensais de M. Domota, pourquoi j'avais posé telle ou telle question, ce qu'il pensait, lui, au fond", précise-t-elle. Elle ne s'est pas démontée et a répondu qu'elle ne pensait pas à la place de ses invités. Et quand il lui a fallu signer un papier assurant qu'elle se tenait "à la disposition" des gendarmes, elle a refusé, en "Gwadloupéyen doubout".
pondent dans Internet.
Quand le petit Poucet se promène en forêt, il peut cueillir des champignons. Attention, on en trouve des vénéneux ! Cela ne signifie pas qu’il faut abattre la forêt, ni l’entourer de barbelés, ni la dénigrer en bloc. Cela signifie qu’il faut s’initier à la mycologie.
Démonstration :
C’est dans le « Dictionnaire des idées reçues » de Flaubert : « Je n’aime pas les épinards, j’en suis bien aise, car si je les aimais, j’en mangerais, et je ne puis pas les souffrir » (idée que Jean-Luc Godard met dans la bouche de Jean-Paul Belmondo dans « Pierrot le fou »).
C’est dans la vraie vie : les médias traditionnels disent : « Internet, c’est potins, commérages, amateurisme et compagnie ». Puis, ils créent à tour de rôle une version électronique de leur journal ou même ils ouvrent un site qui veut prendre ses distances. Après Rue89, de Pierre Haski (Libération), Médiapart, d’Edwy Plenel (le Monde), on annonce la création d’un site par Jean-Marie Colombani (le Monde). D’autres viendront.
D’où le paradoxal postulat : Internet, ça devient crédible entre les mains de spécialistes des médias discrédités. Le laisser à une nouvelle génération de cyberjournalistes bourrés d’éthique, compétents dans le domaine qu’ils traitent, ouverts à la contestation immédiate de leurs écrits, rompus au maniement de la langue et bénévoles (donc gratuits), ce n’est pas sérieux.
Ah ! qu’il est jouissif de voir des ex-dirigeants de journaux rancis s’engouffrer dans l’espace aéré créé par d’autres, contre eux, malgré leurs lazzis.
« D’abord ils vous ignorent, puis ils se moquent, puis ils vous combattent, puis vous avez gagné ». Ici, avant la victoire annoncée par Gandhi, s’incruste une étape supplémentaire qui s’appelle le pastiche.
Bien entendu, ces vieux routiers s’aspergent d’épices pour masquer le fumet corrompu qui colle à leur costume : ne reculant devant aucun artifice, Plenel qui fut patron et licencieur avant de faire entrer Le Monde en bourse, a pris sa carte au Syndicat National des Journalistes CGT. Mais, dans sa tête, il cotise au MEDEF. Sur Médiapart, il couine : abonnez-vous, « Ainsi, vous soutiendrez l’émergence dans notre démocratie d’un authentique média libre, alors que tous les grands médias sont aux mains d’industriels proches du pouvoir. ». Exactement ce que disent depuis toujours les sites Internet alternatifs, contredits avec dédain par la presse qui a fait Plenel et que Plenel a faite.
Regardons-les au maquillage avant qu’ils ne passent sur l’écran de l’ordinateur ou sur celui de la télévision qui les invite dans des élans de fausse audace : une once d’impertinence, un soupçon d’esprit Canard Enchaîné, un zeste de Voici, un saupoudrage d’analyse philosophique à la BHL. La casquette à l’envers, mais la calvitie en dessous, le jean troué sur un genou cagneux, la langue de bois en verlan, le slalom entre des portes, mais jamais du hors piste. Prêts à tout changer (dans leur accoutrement) pourvu que rien ne change (au Palais Brongniart), ils racolent le lecteur avec leurs appeaux, prétextant que le rejet par le public de leurs supports d’hier est dû à l’attrait d’une nouvelle technologie, mais se gardant bien de l’adopter sans des déguisements qui feront oublier qui ils furent, ce qu’ils firent, et qui doivent masquer ce qu’ils sont, font et feront et qui ne diffère pas pour l’essentiel à leurs pratiques de naguère.
Ce n’est pas leur talent qui est en cause, ce sont les corsets qui les enserrent et dont ils s’accommodent jusqu’à les oublier ; presque de bonne foi, ils prétendent n’en point porter, à l’instar de David Pujadas qui réfute la question dont tout le monde connaît la vraie réponse « Et vous subissez des pressions ? ».
Affectés du syndrome de l’âne de Buridan, on les voit, indécis, frayer parmi les jeunes pousses d’Internet, les frais tendrons au regard franc et loucher vers les portes à tourniquet des médias traditionnels, en quête de reconnaissance par ceux-là même dont ils prétendent se distinguer désormais. Et qui les accueillent sans lever un sourcil, pas dupes. « Entre donc, fils prodigue, ton couvert n’a jamais été enlevé. Fais voir ta carte du SNJ-CGT. Ah, ah ! »
Il fut un temps où les médias qui font l’opinion acceptaient de s’encanailler à la marge, de laisser couler un filet d’idées nouvelles afin de racoler un public d’étudiants turbulents (futurs notaires, donc futurs clients), de cadres hérétiques, d’enseignants qui ont lu Rabelais, Beaumarchais, Molière, Sartre et qui voudraient voir surgir leurs clones modernes. Des rédac’-chefs maraudaient chez les saltimbanques pour recruter des plumes impies, des dessinateurs iconoclastes. Au fil du temps, ces gens du ruisseau apprenaient à se tenir à table, voire désapprenaient Marx, Bakounine, Trotski, Jean Jaurès. S’ils ne renonçaient pas tous à leur « Ni Dieu ni maître », au moins acceptaient-ils de le susurrer sur des notes de Lulli, au moins s’abstenaient-ils de l’éructer sans préavis sous le nez de l’invité du jour, propre sur lui : le député, la dame aux pièces jaunes, l’évêque, l’ex-taulard-ministre, BHL, Ségolène Royal, Alain Finkielkraut, Serge July, Carla Bruni, Alain Minc, Bernard Kouchner, Jacques Séguéla, le dalaï-lama.
Aujourd’hui, les calques électroniques des médias de papa n’ont plus ces audaces-là, preuve que ceux qui viennent de Libération, du Monde et Cie restent les mêmes en changeant de porte-voix. Ils n’ont pas compris qu’investir Internet avec une maquette ripolinée ne suffit pas à les rendre neufs et innocents aux yeux des citoyens échaudés. Ils croient que les effronteries calibrées du fils de famille à table peuvent être prises, par le patriarche et les domestiques, pour une harangue de leader syndical au piquet de grève.
Aujourd’hui comme hier, ici comme là, ils souhaitent surtout que rien ne bouge. Entre deux cocktails où ils trinquent avec leurs anciens confrères et l’immuable classe politique, ils sont en mission de récupération d’un espace que les tenants d’un système essoufflé n’ont pas réussi à déconsidérer, à brimer, à isoler, à interdire. Et qu’il faut donc pervertir, c’est-à-dire véroler par le biais des maladies textuellement transmissibles.
Ce que ce pays subit, c’est à eux qu’il le doit. Sans cette chaîne de transmission, Sarkozy pédalerait à vide. On voit ainsi la droite et la fausse gauche de la bien-pensance s’émouvoir : la diffusion de Libération continue de chuter (on parle de moins 19% pour 2008). Malgré Rothschild !
Ah, que se brisent un à un ces maillons, non pas pour que se rabougrisse l’espace de liberté, mais pour que la vérité s’épanouisse dans sa splendeur virginale et sa diversité.
Internaute, mon ami, mon frère, mon espoir, si tu aimes le chant du rossignol, continue à le distinguer du cri à deux notes du coucou. Ne te laisse pas impressionner par la taille de ce squatteur, ni séduire par le zéphyr né de ses ailes.
Le coucou jette hors du nid les œufs qu’il y trouve pour y pondre le sien, unique, comme sa pensée.
C’est sa nature profonde.
Vladimir Marciac