Dans un contexte de crise, M. Sarkozy vient d’avaliser lors de la derniere journée des États généraux de la presse un plan massif de soutien de la presse traditionnelle d’un montant de 600 millions d’Euros.
Les mesures avancées sont principalement :
• la première année report de la hausse des tarifs postaux. Un report intégralement compensé par l’État, avec un coût de 12 millions d’euros. • 60 millions pour les marchands de journaux (exonération partielle des charges sociales, soit 4.000 euros par exploitant) • 80 millions pour développer le portage (l’aide directe passe de 8 à 70 millions ; il faut ajouter la suppression des charges sociales, pour “les porteurs payés au niveau du Smic”).
• L’abonnement pour chaque jeune Français à un quotidien de son choix pendant l’année de ses 18 ans, l’État supportant le coût de la distribution. • Le doublement la part de la presse (écrite et numérique) dans les communications de l’État, qui représenterait une progression de 20 millions d’euros par rapport à 2008
D’autre part concernant internet :
la création d’un statut d’éditeur de la presse en ligne. Ce statut sera fondé sur deux critères essentiels : la mise à disposition du public de contenu original, composé d’informations ayant fait l’objet d’un traitement journalistique ; et l’emploi régulier de journalistes professionnels. Il ouvrira, en contrepartie, un droit au régime fiscal des entreprises de presse, et notamment à l’exonération de la taxe professionnelle. A cet égard, le chef de l’Etat a précisé que la France allait « poursuivre le travail de conviction engagé de ses partenaires européens pour que les taux réduits de TVA soient étendus à la presse en ligne ».
Les aides à l’investissement sur le web devraient également passer par la création de fondations de mécénat, alimentées par des dons des particuliers ouvrant droit à une déduction fiscale de 66 %.
Les médias traditionnels subventionnés.
On peut se demander si c’est le rôle du pouvoir politique de subventionner les médias. La presse est en crise, et alors ? La crise de la presse ne date pas de la crise financière, mais est bien plus ancienne. Elle tient avant tout à la défiance d’un nombre de plus en plus grand de citoyens envers une presse jugée de moins en moins indépendante et objective, de plus en plus soumise aux intérêts financiers qui la contrôlent. Les enquêtes notamment sur les enjeux financiers ou politiques, et leurs dessous sont absentes. L’information est globalement très conformiste par rapport aux idées et politiques gouvernementales.
A ce niveau, aucune amélioration n’a été retenue.
Si mr Sarkozy propose d’annexer à la convention collective des journalistes un “code de déontologie”, qui est à élaborer et de créer des chartes éditoriales par titre, il a écarté la proposition avancée lors des Assises du Journalisme de créer un Conseil de presse sur un modèle qui fonctionne efficacement dans de nombreux pays (Grande-Bretagne, Québec…). Quant à la “reconnaissance juridique de l’équipe rédactionnelle”, elle est balayée d’un revers de main. Rien de concret n’est donc envisagé pour améliorer la déontologie et l’indépendance des journalistes.
“Bref, ce sont les outils de la transparence du travail journalistique, et les moyens de (re)nouer un dialogue avec le public qui ont été ainsi sacrifiés. Des choix qui vont dans la droite ligne de la manière dont se sont tenus des États Généraux de la Presse Écrite, dont le grand oublié a été-à côté des journalistes- le public.” nous dit le site Média Trend.
Ce plan semble en fait correspondre purement et simplement à une subvention aux titres de presse détenus par les amis de mr Sarkosy, avec l’argent du contribuable, à qui on a surtout pas demandé son avis. Pas plus qu’à l’assemblée nationale semble-t-il.
C’est ce que pense le Syndicat général des Journalistes Force Ouvrière (SGJ-FO),
“Le président Sarkozy a satisfait les revendications des patrons, pas celles des journalistes. Le syndicat constate que les propositions émises par Nicolas Sarkozy “visent exclusivement à répondre aux revendications des patrons et des éditeurs et qu’elles ne comportent aucune avancée en direction du métier de journaliste, bien au contraire”. “Avec une manne de 600 millions d’euros répartis sur trois ans, les groupes de presse et leurs états-majors sont les seuls grands gagnants de ce qui fut un simulacre de discussions et de gesticulations médiatiques que nombre de partenaires sociaux, le SGJ-FO en tête, ont refusé de cautionner”, écrit le syndicat.
Mais les syndicats expriment en général leur satisfaction car ils sentent le vent du boulet : « L’année 2009 sera l’année de tous les dangers pour la presse écrite », résume Bernard Spitz, coordinateur des États généraux de la presse.
“On a un plan global qui peut être un vrai levier de croissance pour les quotidiens”, se félicite Denis Bouchez, directeur du Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN). Pour Alain Metternich, président de la Fédération nationale de la presse française (FNPF), “il y a des engagements d’investissements qui paraissent non négligeables”.
Mr Sarkozy était il y a peu un libéral convaincu en matière d’économie. Aujourd’hui il subventionne massivement la presse, alors que sa désaffection montre qu’elle est de moins en moins appréciée par les citoyens. C’est une première de voir un président subventionner ouvertement une presse qui lui est favorable.
Du reste, ce plan me parait être un formidable aveu de la collusion entre la presse écrite et le pouvoir politique. Est-ce que Sarkosy défendrait une presse défavorable ? Quand on connaît sa susceptibilité par rapport à la moindre critique ouverte….
Mr Sarkozy utilise même le nous pluriel : “”Ce n’est pas uniquement la faute des autres, nous devons aussi intégrer cela [la ligne éditoriale, l'attention du lecteur, la nécessité de rajeunissement du lectorat, etc.] dans nos intentions.”" Une proximité amicale… l’assemblée était surtout constituée des notables de la presse écrite.
“Marc Bloch ne nous a-t-il pas enseigné que la mission de la presse est de« former le peuple à être le collaborateur conscient des représentants qu’il s’est lui-même donnés ?” On ne saurait être plus clair.
Rien n’est envisagé non plus pour contrer la concentration des médias dans un nombre limité de mains. Mr Sarkozy semble penser qu’un des principaux problèmes de la presse est … sa sous capitalisation. Pour attirer les capitaux étrangers, il envisage de lever le seuil de 20 %, qui limite les investisseurs étrangers non communautaires dans les médias.
Une tentative de contre-attaque sur le net
“Mr Sarkozy a ainsi annoncé la création d’un « statut d’éditeur en ligne », une recommandation du groupe de travail, aux Etats généraux, sur le choc d’Internet. Plusieurs critères permettraient de savoir si un site Web - qu’il soit un pure player ou le site d’un journal papier - est « éditeur en ligne ».
1. Avoir une mission d’information professionnelle 2. Produire des contenus originaux, qui nécessitent un travail journalistique 3. Employer régulièrement des journalistes professionnels.
Ce statut ouvrira droit au régime fiscal des entreprises de presse, a précisé Nicolas Sarkozy, et « les éditeurs en ligne seront exonérés de taxes professionnelles ». Cela représenterait, selon le chiffre publié par « Le Monde », 20 millions d’euros sortis par l’Etat en faveur du numérique.”
20 millions face aux 580 millions pour la presse écrite. La proportion est faible. D’autant que ces avantages seront surtout favorables à des structures à base de journalistes professionnels, et donc à la presse traditionnelle.
Une des rares mesures paraissant positive est celle concernant les droits d’auteurs :
“Dans l’épineux dossier de la rémunération des journalistes appelés à travailler à la fois pour le papier et pour le web, le chef de l’État propose une première étape en liant désormais le droit d’auteur des journalistes à un temps d’exploitation de leurs articles, fixé pour l’instant à 24 heures, et non au support de publication. Se posant en médiateur, Nicolas Sarkozy a invité patrons de presse et journalistes à négocier un accord équilibré”.
La problématique Internet, citée en premier dans le discours de Mr Sarkozy, semble être une préoccupation principale du staff de l’Elysée :
“Parce que si la presse ne prend pas le virage d’Internet, elle n’aura aucune réponse à offrir aux générations natives du numérique, ni de solution face à l’évolution des modes de consommation des médias.” avance mr Sarkozy.
Sa préoccupation parait être surtout d’installer sa “presse” dans les méandres d’internet. “Parce que le numérique est une opportunité pour la presse si elle sait s’en servir : nouveaux lecteurs,nouveaux usages, consommation plus fréquente …” précise-t-il.
“Il faut mener la bataille du pluralisme et de l’information citoyenne aussi sur le Net.” ajoute-t-il. Je laisse aux internautes avertis le soin de méditer cette sentence.
Internet représente un vrai contre-pouvoir, car les puissances financières y ont bien moins d’influence qu’ailleurs. Il semble que ce plan, sous couvert de favoriser “le virage numérique”, soit un coup de pouce à la presse papier pour trouver une influence plus grande sur le net.
On peut quand même penser que certains médias Internet relativement indépendants y trouveront intérêt. Mais si Rue89 se félicite de certaines mesures, la réduction de TVA est soumise à une approbation de Bruxelles, où les négociations traînent depuis 10 ans. Une proposition virtuelle donc. Quant aux modalités d’application du statut, elles restent dans le plus grand flou.
Un label indépendant comme Infovox proposé par Agoravox doit se développer pour faire contre poids à ce label officiel visiblement destiné à définir une presse politiquement correcte.
Conclusion
Ce plan est avant tout une aide financière donnée à la presse écrite sans contrepartie. Rien n’est envisagé pour améliorer les contenus, sauf de vagues incantations. Les problèmes de l’indépendance, du pouvoir d’investigation, de la déontologie des journalistes, sont passés à la trappe. L’argent du contribuable est dépensé largement pour une entreprise qui n’est nullement stratégique (la presse ne nourrit qu’elle-même, et un peu les imprimeries). On peut penser que ce plan ne servira que temporairement à soulager le portefeuille des quotidiens. Aucune mesure sur le fond n’a été prise, les contenus sont restés en dehors du plan. Décevant, mais devait-on attendre mieux ?
Le verbatim du discours de Nicolas Sarkozy (discours écrit, sans les improvisations).
http://www.mecanopolis.org/?p=3399&type=1
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Commentaire reçu, pertinent.
D'une enseignante :
Donner de l'argent des contribuables à ses copains, c'est écoeurant, mais il fallait bien qu'il trouve un cadeau à leur faire pour les remercier des vacances offertes, des avions prêtés etc... L'argent public, c'est son fric, comme la République : elle lui appartient. Il en fait ce qu'il veut.
Je trouve encore plus grave la décision de subventionner la presse sur papier ou Internet, car c'est tout simplement la tenir en laisse. Amitiés. Danièle.