« Il est crucial de ne pas autoriser les gens qui ont des priorités politiques très différentes à exprimer leur opinion pour dire que “le capitalisme, c’est fini, le libre échange, c’est fini” », déclare le président du patronat allemand. Quelle meilleure définition de la démocratie en temps de crise que celle qui peut ôter en même temps le pain et l’intelligence d’une situation, c’est le programme de nos médias qui mettent en tutelle les peuples pour “leur bien”.
Les représentants patronaux de cinq pays du G8 se sont réunis le 17 octobre 2008 à Paris à l’initiative du Medef ont vigoureusement défendu le capitalisme et le libre-échange, appelant les Etats à cesser toute intervention dans l’économie une fois la crise internationale passée, ces reflexions sont rapportées par le journal financier les Echos du 14 janvier 2009. C’est extraordinaire d’entendre ces représentants du monde patronal énoncer de totale contre-vérités sur leur propre situation, parce que ce qui caractérise le système est tout à fait le contraire: une architecture économique, politique, institutionnelle autour de l’Etat nord-américain, sa possession du dollar comme monnaie universelle et sa puissance militaire, le tout lui assurant la domination sur toutes les institutions internationales.
Mais même si l’on imagine qu’ilos croient à ce qu’ils disent, notons bien que les dits représentants patronaux, madame Parisot à leur tête ont du mal à sortir de l’idée que la crise est un temps suspendu, une bulle qui après avoir éclaté comme un furoncle, débouchera sur la santé des profits. C’est une vision qu’ils partagent avec les dirigeants politiques par exemple l’ineffable madame Lagarde.
C’est un mode de pensée beaucoup plus général, il repose sur une vision stable, immuable de ce qui est considéré comme un ordre indépassable, celui de l’exploitation, des profits, des peuples “supérieurs” ayant le droit de piller,le capitalisme, l’impérialisme, le tout en faisant sauter le verrou temporaire des dysfonctionnements par la violence si nécessaire. C’est une recherche d’équilibre inspirée par les fondamentalistes du marché et par la panique devant une situation qui leur échappe…
“Nous soutenons totalement et sans réserve les différents plans élaborés tant au niveau américain qu’européen pour sécuriser et soutenir les institutions financières. Ces plans étaient les meilleures solutions possibles (…) Au-delà de ça, nous pensons qu’il y a un certain nombre de précautions à avoir”, a dit Laurence Parisot, (…)
“Il faut que le grand public comprenne que c’est par l’entreprise qu’on trouvera la solution vers la croissance, pas par les Etats, pas même par la coopération des Etats“, a poursuivi Mme Parisot. “L’intervention de l’Etat pourrait ralentir les chances de retrouver un rythme de croissance soutenu” après la crise et “seule l’économie de marché peut apporter la prospérité à nos différents pays“, a-t-elle lancé, se livrant à un long plaidoyer en faveur du libre-échange, comme les autres représentants du patronat présents à ses côtés.
Ce qui est extraordinaire dans cette vision, ce plaidoyer enflammé pour “l’entreprise” c’est à quel point il créé une identité entre la dite entreprise et ce qui est occulté à savoir un système monde sorti victorieux de la guerre froide sous la domination des Etats-Unis. Comme le dirait Gramsci, il s’agit d’un cadre hégémonique économique politique, mais aussi institutionnel et culturel. Il a eu besoin non seulement de soumettre les Etats-nations mais de transformer à son profit toutes les institutions internationales, de l’ONU aux institutions financières dites de bretton Woods (Banque mondiale et FMI), en assurant de partout aux Etats-Unis et à leurs vassaux européens un véritable droit de veto et en utilisant l’arme de la dette, en faisant pression sur les pays du tiers monde, comme sur les salariés.
Ce système a abouti à concentrer sur les Etats-Unis et ses vassaux un maximum de responsabilités économiques, politiques, culturelles, institutionnelles, l’entreprise telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, entreprise dans laquelle le diktat du financier, la pression et la destruction morale, physique, jusqu’à l’élimination des salariés est le prolongement de ce système international et national. Aucune réforme urgente pourtant ne peut avoir lieu sans avoir versé son obole à ce moloch. On le voit bien avec le plan Obama où la part de l’investissement réservé par exemple au grands travaux, à l’investissement productif de relance est insuffisant alors que le plan est alourdi d’une baisse d’impôt pour les mêmes sans lequel il n’y aura pas l’accord de lobbys. Et le plaidoyer vibrant de madame Parisot et de ses homologues du patronat en faveur de la libre entreprise, et la loi du marché est simplement l’exigence de continuer sur cette voie. Le mot même d’entreprise n’est utilisé que pour inventer un système où chaque individu doué de capacité est libre de les mettre en oeuvre, où les monopoles financiarisés n’existent pas.
C’est cela leur démocratie, le dogmatisme traquant l’hérésie… Pour être pleinement active tant au niveau international que national, elle suppose la main mise sur tous les instruments d’information, leur concentration dans les mains de grands groupes avec le poids des grands annonceurs, toute la vassalisation du petit personnel et des “rédactions” complétement contrôlées. Elle suppose un corps “d’experts” apointés qui viennent sur les plateaux de télévision répéter ce qui doit être dit :
“L’économie de marché peut être parfois “extravagante” mais est “de loin le meilleur système que nous avons pour répartir les richesses de par le monde“, a ainsi jugé M. Lambert. “Il est crucial de ne pas autoriser les gens qui ont des priorités politiques très différentes à exprimer leur opinion pour dire que “le capitalisme, c’est fini, le libre échange, c’est fini“, a renchéri M. Thumann.
Et si le contrôle des médias ne suffit plus on peut aller plus loin, le fichier, la police et la répression militaire comme en Irak ou à Gaza. C’est pour cela que la fascisation tient dans cette déclaration de monsieur Thumann :”Il est crucial de ne pas autoriser les gens qui ont des priorités politiques très différentes à exprimer leur opinion pour dire que “le capitalisme, c’est fini, le libre échange, c’est fini“
Durant cette période par laquelle a débuté l”hégémonie sans partage nord-américaine connue sous le nom de néo-libéralisme, ce nom masquant une phase de l’impérialisme caractérisée par la mondialisation sous l’égide des multinationales, de la haute finance et de la militarisation derrière la nation nord-américaine, a été également celui où les vainqueurs se sont employés à détruire toutes les organisations ouvrières et salariales comme à faire sauter les souverainetés nationales. Il s’agissait d’un mode d’hégémonie basé sur le pillage, l’individualisme forcené, la mise en concurrence,plus que de l’économie, une véritable “civilisation” qui aujourd’hui s’effondre sous son propre poids après avoir engendré une monstrueuse crise écologique frappant les êtres humains et leur environnement.
Mais le problème de cette monstruosité est qu’elle a fait le vide autour d’elle, a détruit tout ce qui pouvait résister. On songe à ce qu’écrivait Brecht face au fascisme qui frappait l’Allemagne son pays: “Lorsque se produisit l’attaque généralisée contre les positions économiques et politiques des classes ouvrières allemandes et italiennes, lorsque la liberté de coalmition des travailleurs, la liberté d’opinion de la presse, la démocratie furent étranglées, cela signifiait l’attaque généralisée contre la culture dans son ensemble. Ce n’est pas tout de suite, pas immédiatement que la destruction des syndicats fut jugée à l’égal de celle des cathédralers et d’autres monuments historiques. Et pourtant, là s’opérait l’attaque contre le centre de toute la culture.”
L’affligeante production intellectuelle et culturelle qui est la notre, celle qui étale son effroyable banalité dans nos médias n’est que l’illustration de cette dispartion des cathédrales de la pensée politique des masses. Le moins que l’on puisse dire est que dans cette destruction le capital a eu et a encore des alliés.
Rosa Luxembourg parlait de “socialisme ou barbarie“, mais attention la barbarie n’est pas simplement le produit de la volonté patronale sous une forme caricaturale de la domination, elle est aussi hégémonie, consensus, notre mode de pensée baigne dans son ether, notre incapacité à saisir la complexité du monde et notre tentation à chercher l’ennemi à notre porte en témoigne. Si tel est le cas, ils ont gagné, il n’y aura pas de solution. D’où la nécessité d’une autocritique pas pour détruire mais pour reconstruire les intruments d’un combat.
Derniérement on m’a interrogé ici sur ma critique du “stalinisme”, j’ai répondu que je n’étais pas convaincu par certaines critiques, en particulier de celles qui émanaient des tenants de la “démocratie” de monsieur Thumann ou de ceux qui adoptaient plus ou moins consciemment son point de vue, mais que je détestais le dogmatisme. Ou encore la forme de procès qui consiste à disqualifier ce qui est dit en cherchant à bâtir un portrait négatif de celui qui dit. C’est ce mode de pensée là qui m’est difficilement supportable et contre lequel nous devons nous prémunir par ce qu’il est notre mode d’aliénation, il nous conduit à partir d’un idéal d’émancipation à nous autodétruire pour éliminer la contradiction pourtant nécessaire. ce mode de pensée dogmatique est celui du patronat aujourd’hui, il faut le tretourner contre lui.
Danielle Bleitrach
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